Ils ont le nez retroussé et le cheveu fin et raide, ils fondent pour le fromage qui schnouffe et le sauciflard, dans leur sang coule du bon pinard, leurs poils sont répartis avec parcimonie sur leurs corps, ils disent « Lizrael » et le « Oumous », ils portent des écharpes brodées même en été et leurs mères comprennent le sens du terme « vie privée », merci de faire une standing ovation pour nos amis les goys !
En 2011, ma sœur a commis l’impensable : elle est sortie avec un Breton ! Au départ, elle nous faisait juste, comme on dit dans le jargon RH, un petit « burnoute » du monde juif. Elle en avait marre de manger trop gras, trop salé, trop sucré, des cris comme seul mode d’expression, des soirées juives où personne ne boit d’alcool ni ne s’adresse aux nouveaux venus. Alors pour sortir discrètement de ce monde oléagineux, elle s’est d’abord tournée vers une version juive aseptisée : l’Ashkénaze. Une fréquence sonore plus basse, une joie de vivre plus intériorisée, un langage plus soutenu, un art de vivre plus frugal… Mais quand elle a entendu sa mère dire « Mon fils ramène-nous quelqu’un même une Arabe ! » (NDLR : une Sépharade), elle a pris le large sur les côtes bretonnes.
Jeanne, sauve-nous !
Bon, cette hérétique n’avait pas besoin de regarder la météo pour apprécier la puissance du tsunami qu’elle allait se prendre dans la gueule. Sortir avec un non-juif dans une famille juive, c’est comme annoncer qu’on est gay, qu’on veut étudier l’allemand en LV2 ou qu’on n’a plus faim, ce n’est même pas un sujet, c’est plus que tabou, c’est des larmes, des « Dieu nous préserve ! » en implorant le ciel comme des Indiens invoquent la pluie, des « Qu’est-ce qu’on a mal fait ? Tu ne nous aimes pas alors ? Tu veux vraiment décevoir tes parents ? » et des recherches sur Google « Comment faire exorciser ma fille sans qu’elle s’en aperçoive ? ». Et encore c’est une femme ! (oui pour une fois c’est un avantage) Comme dirait un ami, même si elle épouse un cochon, ses enfants seront juifs ! Quid du mâle qui tient sur ses frêles épaules la lourde responsabilité de la transmission du judaïsme ? Quid de cet être dont le choix se résume à :
1 – Une petite feujette-boulette qui s’imagine déjà sous la houpa parce qu’il lui a dit bonjour
2 – Une grande liane blonde et élancée, objet de transgression ultime qui stopperait la lignée juive de sa famille ?
Menhir Express
Mes parents avaient juste oublié un point essentiel : si la pomme n’avait jamais été interdite à Eve, elle n’aurait jamais voulu la manger ! (en même temps faut être un peu cruche pour risquer l’enfer pour un vieux fruit… Un escargot Lanvin praliné défendu, à la limite j’aurais compris…) Mais bref ! Donc ma reus, depuis le début dans cette histoire, elle savait qu’elle n’avait pas le droit de manger pas casher mais c’est justement pour cette raison que les sentiments amoureux sont arrivés ! Ce fameux obstacle qui supprime la pression de l’engagement « je n’aurais jamais pensé tomber amoureux ! », on se dit que ça ne durera jamais de toute façon. Tout le monde a son côté Roméo et Juliette inscrit dans ses gènes, enfin plutôt Erwan et Déborah, les Le Goff vs. les Choukroun ! Oh Erwan, pourquoi es-tu Erwan ? Renie ta bigoudène et abdique ton kouign-amann !
Goy bless you
Notre grand frère orthodoxe pas moderne du tout a rajouté son petit grain de sel, en se balançant d’avant en arrière, d’un ton dogmatique, il a essayé de lui faire retrouver raison « ma soeuuuur c’est un Nissayon qu’Ashem il t’envoiiiiie pour éprouver ta sheh’ina, il faut combattre le Yetser Arah pour montrer ta émouna et ton zeh’out beezrat Ashem va grandir et en sortir plus fort » (NDT : quitte ton goy et ton casier jewdiciaire redeviendra vierge). Mais non rien n’y a fait, elle était heureuse pour la première fois de sa vie, elle s’en fichait éperdument des conséquences d’une telle liaison sur la survie de son peuple, son bonheur individuel primait… Et la voyant aussi radieuse, j’en étais presque jalouse parce que faut être honnête, trouver l’amour aujourd’hui c’est aussi fréquent qu’un juif qui digère le lactose, une batterie d’iPhone qui tient ou une soirée échangiste à Disneyland Paris !
Phare Phare Away
Cet état de grâce ne l’a pas empêchée de culpabiliser le jour de Kippour ou les vendredis soir, ni de constater que son « Jules » ne vibrait pas au son de L’Hatikva, ne partageait évidemment pas ce sentiment d’appartenance à la communauté ni cet attachement aux traditions. D’ailleurs elle a toujours du mal à le vivre, elle, ce lien à son peuple, un peu en mode bipolaire, ballotée comme un rafiot en pleine tempête, entre son judaïsme et son identité française (prochain papier : “Peut-on être juif ET normal ?”). Si on fait le bilan, calmement, en se remémorant chaque instant, elle a fait le choix d’une vie différente de celle que nos parents avaient imaginé pour elle, mais elle a écouté son cœur comme Pocahontas l’avait fait jadis. Du coup je me demande parfois : le bonheur est-il dans le pré-puce ?
Myriam Berdah
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Article publié le 24 septembre 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2021 Jewpop
Merci pour ce moment.
– Un ashkénaze.
Oui merci pour ce moment très apprécié par une aschkenase.
Super. Un coupable Ashkénaze et Breton de cœur.
Quoi ? 3 juifs qui sont d’accord ??? 2 juifs 3 opinions ! Les traditions se perdent ici