On dit que les histoires courtes sont toujours les meilleures mais les histoires longues sont souvent les plus drôles. Voici une histoire… longue.
Quand ma mère en avril dernier m’avait calmement murmuré au téléphone : «Allo ! On va à la Bar Mitzva de ton cousin à Londres au mois de juin, tu viens en voiture avec tonton Victor», j’avais acquiescé malgré les termes quelques peu staliniens de maman. Et puis il faut dire que ma dernière expérience ferroviaire m’avait conforté dans l’idée de partir en voiture. Me voilà donc parti à 8h du matin dans la voiture de tonton Victor, sans souci je me repose, raconte 2-3 vannes à ma grand-mère, elle ne rigole pas puisqu’elle dort. Voilà une heure et demie que nous sommes partis quand je conte l’expérience d’une amie de ma sœur, qui a oublié son passeport et raté son avion pour Israël : «Franchement, il faut vraiment être un gros boulet pour oublier son passeport surtout quand on part en vacances !». Et Ouiiii, et il faut être encore plus «un gros boulet» pour raconter cette histoire au même moment ou… «Oh non mon passeport ?! Mais je l’ai pas !».
Tonton Victor explose de rire : «Bravo, meilleur blague du trajet !». Mais son visage se ferme quand il aperçoit dans le rétroviseur mon teint blanchâtre à la limite de l’évanouissement. En réalité, je suis plus inquiet de la réaction de ma mère quand elle apprendra mon omission, que du simple fait de ne pas passer en Angleterre. Malgré mon aspect «Mylène Farmer en pleine dépression», une idée lumineuse me traverse l’esprit ! Je trouve sur covoiturage.fr la voiture d’un certain Cédric M. qui fera un Paris-Londres le jour même. Je réveille ma copine et la somme sous peine de mort d’apporter mon passeport à ce Cédric M. Elle m’indique après transaction qu’il s’agit en fait de… trois camerounais. Ma bien-pensance gauchisante m’interdit alors de penser que des Africains qui n’ont pas de papiers français et ayant mon passeport peuvent facilement le garder et se barrer avec. Je décide donc de faire confiance à mes sauveurs et puis à vrai dire, je n’ai pas trop le choix.
Pendant ce temps, Tonton Victor a continué sa route, et arrivés à l’entrée du tunnel sous la Manche : «Allez descend, au pire tu rentres à Paris en train !». Ma grand-mère et ma tante me donnent toute la nourriture possible et imaginable qui se trouve dans la voiture, mince alors, ce sac plastique est encore plus lourd que mon bagage. Après exfiltration de la zone d’embarquement de l’Eurotunnel par un douanier dont le QI doit légèrement dépasser celui de la loutre, j’apprends que mes amis camerounais traversent la Manche en ferry boat et seront à Calais dans 6h. Cela me laisse le temps de flâner gentiment dans la magnifique ville de Calais… Pour vous donner une idée de la ville, euh… Vous voyez un peu Las Vegas ? Et ben ça n’a rien à voir. Peut être un point commun: la wifi de la Brioche dorée, dont le code d’accès est « chtibiloute55 » (ce sont donc des ch’tis tunisiens).
Je me connecte dès lors sur Internet et dans un réflexe culturel étrange mais néanmoins socialement intéressant, je tape sur Google : «communauté juive de Calais», et là, surprise ! Pas la moindre trace d’un israélite ni même de son frère, pas même une rafle allemande en 40. Il n’y a donc jamais eu de juif ici. Calais n’a pas de synagogue, pas un cimetière juif, même les Habad-Loubavitch, qui sont présents dans les coins les plus paumés du fin fond de la Thaïlande ne se sont pas intéressés à Calais. Je dois me rendre à l’évidence : en plus d’être le seul sans-papiers juif de Calais, je suis le seul juif de Calais tout court. Je me rends rapidement sur Facebook histoire de poster un statut pour dédramatiser, qui sera très vite accompagné de gentils commentaires : «ta mère est au courant, prépare ton armure» ou encore le très rassurant «t’as des gardes du corps j’espère ?». Justement mes gardes du corps doivent arriver dans une heure.
Au ferry, pour tuer le temps, je discute avec un policier qui semble tout droit sorti du film de Danny Boon, je lui explique ma situation, le passeport oublié, le covoiturage et donc le ferry. Ce auquel il me répond : «Faites attention, vous lo connaissez s’te combine ? (Oui je fais très mal l’accent chti à l’écrit) Des camerounais avec eul voitures allemandes, ils font du covoiturage pour passer des clandestins en Angleterre et si vous êtes avec, vous allez direct en garde à vue !». Néanmoins il s’éloigne, ce qui laisse le temps à mes passeurs d’arriver en Chrysler noire aux vitres teintées, immatriculée… (je vous le donne en mille) en Allemagne. Cédric M., qui organise ce covoiturage, me rend mon passeport (ouf !). Il est tellement adorable que ça en devient étrange : derrière, en covoiturage, trois filles baba cool qui empestent le patchouli et un mec chelou blindé de tocs. Je veux encore croire à la sincérité de mes nouveaux amis, quand mes espoirs sont vite balayés à l’approche du contrôle des passeports, alors que Cédric explique : «On est tous des copains qui allons passer le weekend à Londres, hein. Et au fait je m’appelle plus Cédric, je m’appelle François, ok ? ».
C’est à ce moment précis que j’ai commencé à préparer mes poignets pour accueillir les menottes que me réserverait l’administration britannique. Mais nous passons pourtant la frontière dans une tension extrême, malgré le sourire de façade de notre conducteur. Une fois nos papiers restitués, un des passagers d’origine camerounaise, qui avait lui une pièce d’identité française, se met à chuchoter l’air heureux «Allah ouakbar, Allah ouakbar, nous sommes passés !». Et je ne sais quel élan d’euphorie m’a entrainé à reprendre moi aussi, la pression retombante: «Tu m’étonnes Allah ouakbar, Allah ouakbar mec ! » Mais tout d’un coup je me souviens des tampons israéliens sur mon passeport et la paranoïa me gagne… Mais rien de tout cela, et 4h plus tard, il est 21h30 quand nous pénétrons dans Londres. Nous déposons notre clandestin dans une petite maison sordide du ghetto africain, dont seule la monarchie britannique a le secret. Cédric-François M. nous explique alors que les papiers du garçon n’étaient pas les siens et qu’il vient de s’en rendre compte… Donc il nous prend véritablement pour des cons, et jusqu’au bout. Enfin, le calvaire s’arrête ici, Cédric me lance : «Mettez-moi une bonne critique sur le site covoiturage hein ?». J’ai pensé «t’inquiètes mon pote, je vais même en mettre une de 2 pages». Je me rends ensuite en métro jusqu’à la synagogue pour le repas du bar mitzva. À peine franchi le pas de la porte, la salle m’applaudit, et à juste titre, j’ai l’impression d’avoir couru un marathon. Mon père me lance un regard accusateur qui veut dire : «Bravo, le coup du passeport tu l’avais jamais fait». Ma mère, debout, munie d’une assiette de couscous, m’assène à son tour un regard noir avant de se jeter dans mes bras : «Mange, tu dois mourir de faim !». Solal, le bar mitzva m’interpelle en franglais : « So – raconte ? »
– « Oula c’est une longue histoire » !
Jonathan Demayo
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Article publié le 18 juillet 2013. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop
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True story et c’est ça le pire !
Suffit d’une carte d’identité pour aller à Londres non?