De White Christmas à Winter Wonderland, les chansons de Noël devenues des standards américains ont pour la plupart été écrites et composées par des Juifs. Jewpop revient sur l’histoire de ces classiques sans lesquels Noël ne serait pas vraiment Noël.
Les noms de George Wyle (né Bernard Weissman), Eddie Pola (Sidney Pollacsek), Felix Bernard, Jay Livingston (Jacob Levison), Ray Evans, Gloria Shayne Baker (Gloria Shain), Robert Wells (Robert Levison), Robert May et Johnny Marks, Jule Styne, sont moins connus des amateurs de jazz, de comédies musicales ou de « pop song » que ceux de Mel Tormé, Sammy Cahn et Irving Berlin. Pourtant tous sont les créateurs du répertoire traditionnel des chansons de Noël que connaissent par cœur tous les américains, et bien au-delà : “Do You Hear What I Hear,” “Silver Bells,” “Rudolph the Red-Nosed Reindeer,” “Holly Jolly Christmas,” “Rockin’ Around the Christmas Tree,” “Winter Wonderland,” “It’s the Most Wonderful Time of the Year”, “Let it Snow ! Let it Snow ! Let it Snow !”, “The Christmas Song” et l’incontournable “White Christmas”.
L’histoire de ce répertoire devenu classique est indéfectiblement liée à celle de ces immigrants juifs d’Europe de l’Est, qui souvent rejetèrent leur héritage familial et devinrent des géants de Tin Pan Alley, Broadway et Hollywood, composant la bande originale du rêve américain. Une histoire où la mémoire des pogroms, de la discrimination et de la pauvreté se conjugue avec la compassion, le désir de s’intégrer et un extraordinaire talent créatif.
Elle commence en Russie, à la fin du 19ème siècle, alors que le tsar réformateur Alexandre II, qui abolit le servage, est assassiné en 1881. Son fils Alexandre III accède au trône et prend le contrepied de la politique engagée par son père, se servant des Juifs comme boucs émissaires. Selon l’un de ses proches conseillers, les persécutions contre les Juifs mèneront à la situation suivante : “un tiers se convertira, un tiers mourra et un tiers quittera le pays ». Le plan fonctionnera à un tiers près… Entre 1881 et 1914, plus de deux millions de juifs russes quittent la Russie, vers les États-Unis pour principale destination et New York comme première métropole où ils s’établiront, la population juive de la ville passant d’environ 80 000 en 1870 à 1.4 million en 1915, soit environ 28% de la population totale à cette date.
La plupart de ces immigrants se regroupèrent dans les taudis du Lower East Side, où ils tentèrent désespérément de survivre dans des conditions misérables, dignes des romans de Dickens, prenant tous les « sales boulots » possibles et imaginables. Privés d’accès à nombre de professions et aux études supérieures, certains d’entre-eux trouvèrent leur voie dans la musique populaire. Lorsqu’on lui demandait pourquoi tant de Juifs avaient fait carrière dans le show business, Minnie Marx, la mère de la fratrie des Marx Brothers, expliquait avec l’humour qu’elle transmit à ses fils “Où vouliez-vous que des gens qui ne savent rien puissent faire autant d’argent ?”
Le premier désir de ces enfants d’immigrés était de s’assimiler, et le premier pas pour devenir un « vrai américain » fut le changement de nom. Israel Baline devint Irving Berlin, Jacob et Israel Gershowitz devinrent George et Ira Gershwin, Hyman Arluck devint Harold Arlen, Asa Yoelson devint Al Jolson. La plupart laissèrent non seulement leurs noms d’origine derrière eux, mais aussi parfois leur judéité. Ces « étrangers » étaient extraordinairement sensibles aux espoirs et rêves de la classe moyenne américaine, à laquelle ils souhaitaient plus que tout appartenir. Témoins ou acteurs de la Seconde guerre mondiale, ces auteurs-compositeurs juifs tentèrent de réconforter leurs concitoyens en créant ce répertoire unique de chansons de Noël.
Irving Berlin
Avant qu’Irving Berlin n’écrive et ne compose “White Christmas” – interprété par LA star de l’époque, Bing Crosby – qui sera le disque le plus vendu aux USA en 1942, puis dans l’histoire de la pop américaine, les auteurs-compositeurs n’accordaient que peu d’importance aux chansons de Noël. Mais le jour de Noël 1941, date à laquelle est diffusée pour la première fois sur les ondes de NBC la chanson, alors que le pays vient d’entrer en guerre suite à l’attaque de Pearl Harbor seulement dix-huit jours plus tôt, des centaines de milliers de soldats US sont loin de leurs foyers et “White Christmas” résonne alors dans tous les cœurs des familles et des soldats, même si le texte de la chanson ne contient que peu de références à la fête de Noël. Un Noël auquel tout le monde a envie de participer, même les Juifs…
«J’étais un gamin né en Russie, fils d’un rabbin orthodoxe, vivant dans le Lower East Side de New York. Je n’ai jamais eu de Noël. Je m’étais lié à mes gentils voisins de l’autre côté de la rue, les O’Hara, et partageais leurs friandises. C’est la première fois que je voyais un arbre de Noël. Les O’Hara étaient très pauvres et ce n’est que bien plus tard, alors que je m’habituais à leur sapin, que je réalisais qu’ils devaient en acheter un de petite taille avec des branches cassées. Mais pour moi, ce premier arbre semblait s’élever jusqu’au Paradis.» racontait Irving Berlin, dont la famille avait fui les pogroms. Le très mélancolique «White Christmas», chanson la plus vendue de l’histoire avec cinquante millions de copies diffusées dans le monde, reprise plus de 500 fois par des artistes comme Frank Sinatra, Elvis Presley ou Otis Redding, mais aussi adaptée en français par Francis Blanche sous le titre «Noël Blanc», chantée par Tino Rossi, Christophe ou Céline Dion, a également valu à Berlin, nommé neuf fois, son seul Oscar.
Illustration : Ron Barrett
Le succès phénoménal de “White Christmas” sera suivi d’un autre classique de Noël dû à la plume d’un auteur juif, Robert May, avec son poème “Rudolph the Red-Nosed Reindeer” écrit en décembre 1939, et mis en musique par le compositeur Johnny Marks, également juif, en 1949. Une parabole de l’enfance malheureuse du poète, avec Rudolph, le petit renne au nez brillant, différent des autres avec son « nez rouge » dont se moquent les autres petits rennes. Mais Rudolph, malgré les avanies, sauvera le père Noël empêtré avec son traîneau dans le brouillard ! Un happy end très américain, qui voit le particularisme gagner face à l’intolérance. Paradoxalement, Robert May alla si loin dans son désir d’assimilation qu’il cacha à sa seconde épouse et à ses enfants sa judéité…
Aux États-Unis, la tradition des Christmas songs évoluera avec les modes musicales. En 1957, Irving Berlin, qui méprisait le rock’n’roll, tentera en vain d’empêcher Elvis Presley d’enregistrer “White Christmas,” mais la version du King of Rock se classera dès sa sortie No. 1 des charts. Depuis, pas une star de la pop US, du rock, du rap, du jazz, de la soul, du funk ou de la country ne manque d’enregistrer son album de Noël figurant tous ces standards…
Et « Petit papa Noël », nous direz-vous à juste titre ? Même combat ou presque, l’auteur des célèbres paroles est Raymond Vincy (Raymond Ovanessian), parolier marseillais d’origine arménienne. Nonobstant son interprète Tino Rossi, accusé de collaboration pendant la guerre, arrêté à la sortie de son tour de chant au Moulin Rouge le 7 octobre 1944, qui s’est défendu en déclarant « J’ai agi en bon Français. » Au fond, que lui reproche-t-on ? se demande le journaliste et écrivain François Forestier dans l’Obs : « d’avoir grossi pendant l’Occupation, quand tout le monde maigrissait. Son cachet pour le film « Marinella » était de 85 000 francs. Pour « Au son des guitares » : 275 000 francs. « Lumières de Paris » : 800 000 francs. Et pour « Mon amour est près de toi », produit par la Continental – firme financée par des capitaux allemands -, il a reçu 1 200 000 francs. « J’ ai toujours fait mon possible pour éviter les Allemands », affirmait Tino »…
Tous ces auteurs-compositeurs ont contribué à l’émergence d’un Noël « melting pot ». Une fête inclusive et joyeuse, où règne l’esprit d’accueil. Une fête laïque, « connecting people » pour reprendre un célèbre slogan. Ils empruntèrent des éléments d’une culture majoritaire, éloignée de leurs traditions, mais y imprimèrent leur histoire passée pour la réinventer dans une époque troublée et la rendre idyllique. Pour que le temps d’une journée, chacun puisse croire au bonheur.
Alain Granat
Sources : Rob Kapilow, The Star , A Fine Romance, Jewish Songwriters, American Songs de David Lehman (Nextbook)
© photos et visuels : DR
Article publié le 27 décembre 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop
Irving Berlin a un petit air de Mendes France ? non?
Un très bel article ! Et Merci pour ces extraits musicaux qui nous transportent ailleurs, dans une Amérique chantante !
Pouvez vous trouver l’histoire de rosinsky, le roi des galettes demain azyme pour paques ?
Merci