Stanley Kubrick Jewpop

L'étrange cas du Docteur Kubrick

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À l’occasion de la sortie en salles de Doctor Sleep, suite du roman de Stephen King The Shining adapté au cinéma par Stanley Kubrick, Rodney Ascher, réalisateur du documentaire Room 237 compilant les théories les plus folles sur le cinéaste, a accepté de répondre aux questions de Jewpop.

Photo du film Dr Sleeper Jewpop

Scientology Wars, ou le réveil de mauvaise humeur de maître Obi-Wan Kenobi dans Doctor Sleep

Alexandre Gilbert : Eyes Wide Shut, dont le rôle masculin avait été pensé pour Woody Allen par Kubrick dans les années 70, est probablement le climax de toutes les théories du complot sur Stanley Kubrick, sachant que sa fille Vivianne avait rejoint l’Église de Scientologie, au désespoir de ses parents. Saviez-vous que sa femme était la nièce de Veit Harlan, le cinéaste adulé par Hitler et Goebbels, qui réalisa les films de propagande nazie Kohlberg et Le Juif Süss ?

Photo de Veit Harlan par Helmar Lerski Jewpop

Veit Harlan photographié par Helmar Lerski en 1927

Rodney Ascher : J’ai lu dans une biographie de Kubrick le récit d’un dîner particulièrement tendu en compagnie de Veit Harlan, mais je ne me souviens pas trop des détails… C’est intéressant de voir combien de théories du complot tournent autour de Kubrick et d’Eyes Wide Shut, mais je n’ai jamais trouvé de lien significatif entre Harlan et la Scientologie en particulier. Comme vous le soulignez, ce film a inspiré un nombre infini d’entre elles (principalement au sujet des Illuminati), et la dernière fois que j’ai vérifié, ça n’a pas cessé. Le fait que Kubrick soit décédé avant la sortie du film reste sans aucun doute un facteur majeur de l’ampleur de ce phénomène.

Photo de Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick Jewpop

Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut

A.G. : Shining fait-il référence à l’angoisse de Kubrick vis-à-vis de l’histoire de sa femme, et y-a-t-il selon vous des références au nazisme dans 2001, l’Odyssée de l’espace et Orange Mécanique ?

R.S. : C’était la théorie de Jay Weidner. Il voyait, dans Shining, la responsabilité de Jack vis-à-vis de l’hôtel comme une métaphore de celle de Kubrick, protégeant ce “secret de famille”. Je ne connais aucune autre lecture du film qui soit aussi explicite à ce sujet. Personnellement, je considère le film comme une forme de dramaturgie de la vie d’un père/mari partagé entre ses responsabilités, ses ambitions et ses tentations… Une problématique quasi universelle. Concernant Orange mécanique, certaines images de propagande nazie sont projetées à Alex lors de la scène de la “technique Ludovico”, mais c’est à peu près tout pour les références directes, du moins dans mon souvenir… Docteur Folamour,  c’est une autre histoire, bien sûr.

Scène du tournage d'orange mécanique de Stanley Kubrick Jewpop

Stanley Kubrick et Malcom McDowell lors du tournage de la scène de la “technique Ludovico” d’Orange mécanique

Pourtant, 2001 et Orange mécanique évoquent tous deux le fascisme, d’une certaine manière. Dans ce dernier film, le gouvernement prend cette direction totalitaire, tandis que le nihilisme d’Alex semblerait le moindre des deux maux. Dans 2001, la première chose que font les hommes-singes de leur “sagesse monolithique”, c’est vaincre leurs rivaux avec des armes. L’os devient ensuite un satellite (décrit comme un lanceur de missile nucléaire dans le livre). Il associe donc technologie, évolution et civilisation, à des armes de guerre. Il est possible que le “Star Child” représente un avenir utopique, post-militaire/fasciste, auquel nous pouvons aspirer. C’est un peu l’inverse pour Alex à la fin d’Orange mécanique, non ? Deux manières différentes de s’opposer au fascisme : le nihilisme et la transcendance.

A.G. : Le masque du Joker apparaît un peu partout dans les mouvements sociaux, comme au Liban ou au Chili, rappelant le masque de Salvador Dali dans La casa de Papel, ou de Guy Fawkes dans V pour Vendetta. Saviez-vous que WikiLeaks et les Anonymous portèrent ce masque afin d’éviter des représailles de la Scientologie ?

Joaquin Phoenix dans Joker Jewpop

Joaquin Phoenix dans Joker

R.A. : Je me souviens d’avoir été frappé par le masque de Guy Fawkes lors de ma première lecture de V for Vendetta (j’ai eu la chance de le découvrir lorsqu’il fut publié dans Warrior Magazine). C’était étrange, surtout en tant que fan d’Alan Moore depuis les années 80, au fil des décennies, de voir le masque passer de cette fiction assez obscure (du moins à ses débuts) à notre réalité, pour ensuite apparaître dans des contextes extrêmement différents et de plus en plus publics. J’étais sûr que ça diminuerait pendant l’épisode des Anonymous, mais ensuite ça a continué, et j’ai eu l’impression d’avoir découvert un petit secret que la plupart des gens ignoraient. Pour quelqu’un qui passe peut-être trop de temps à penser à des choses comme V pour Vendetta (ou même dans une moindre mesure, à la conclusion du Joker), ce qui m’impressionne n’est pas tant que le grand public ne se souvienne pas des origines compliquées de ce genre d’icônes, mais que le monde regorge de choses comme celles-ci : des artefacts culturels majeurs, dont seul un nombre relativement restreint de personnes connaissent l’histoire, à cause de leurs obsessions personnelles.

Scène du film The Master Jewpop

Philip Seymour Hoffman et Joaquin Phoenix dans The Master

A.G. : Qu’avez vous pensé du film de Paul Thomas Anderson The Master, avec Philip Seymour Hoffman, Joaquin Phoenix et Remi Malek ?

R.S. : Je suis fan du film, et de Paul Thomas Anderson en général. Pour moi, celui-ci est le premier d’une série de films plus bordéliques et imprévisibles les uns que les autres, ce qui me donne encore plus envie de les revoir ! Si Boogie Nights est un film incroyablement divertissant et plaisant, The Master (comme Shining) reste aussi insoluble qu’il est rempli de scènes et de performances à couper le souffle ! Le fait que je perde le fil à chaque visionnage me pousse à le revoir à nouveau. De même, Shining est rempli de contradictions et de mystères non résolus – la photo de la fin est présentée comme un moment «Rosebud», mais elle soulève encore plus de questions… Je crois que c’est pour cela que j’ai regardé Shining si souvent, bien plus que Le 6ème sens par exemple, qui est pourtant un super thriller d’horreur de série B, très réussi. Mais contrairement à Shining, la fin du 6ème sens est si évidente qu’elle me laisse… sur ma faim !

Interview réalisée par Alexandre Gilbert

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© photos et visuel :  visuel de une Joscrosbot / DR

Article publié le 7 novembre 2019, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop

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