Nat Hentoff, une conscience américaine anticonformiste, au diapason du jazz

8 minutes de lecture

 
Décédé le 7 janvier à l’âge de 91 ans, l’écrivain et journaliste américain Nat Hentoff, inlassable défenseur des droits civiques, ami de Malcolm X, Bob Dylan, Duke Ellington, Charlie Parker, Charlie Mingus… a marqué de son empreinte l’histoire de la presse d’outre-Atlantique et du jazz.
 
Né en 1925 à Boston dans une modeste famille juive originaire de Russie, Nathan Irving Hentoff qualifiait sa ville de « plus antisémite du pays ». Il grandit dans le quartier pauvre de Roxbury, entouré de militants socialistes, anarchistes, communistes, trotskystes… qui forgeront son esprit rebelle. Il se plaisait à raconter qu’à l’âge de 12 ans, il s’assit sous le porche de son immeuble le jour de Kippour. La rue menait à la synagogue du quartier et l’enfant, déjà provocateur, sortit un sandwich au salami qu’il dégusta lentement. Dans Boston Boy, ses mémoires publiées en 1986, Hentoff expliquait qu’il n’avait pas agi ainsi uniquement pour scandaliser les passants juifs qui se rendaient à la prière et l’insultaient au passage, mais pour ressentir la condition de « paria ». Tout en ajoutant qu’outre la réaction de son père, qui lui flanqua une correction, et l’indigestion qui suivit l’ingurgitation du sandwich, il trouva l’expérience « plutôt agréable ».
 

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Passionné de jazz à l’adolescence, il intègre l’université de Northeastern dont il sort diplômé en 1946, et travaille quelques années comme journaliste pour une radio locale de Boston, avant de s’installer en 1953 à New York, au cœur de Greenwich Village. Pendant 4 ans, il couvre la scène jazz pour le magazine Down Beat, puis entame une carrière de journaliste free lance qui le mènera des pages d’Esquire à celles du Harper’s Bazaar, en passant par Playboy, The New York Herald Tribune et The New Yorker. Mais ses contributions les plus célèbres resteront les éditoriaux et articles qu’il produira pour The Village Voice à partir de 1958. Fer de lance de la contre-culture américaine, l’hebdomadaire new-yorkais conservera son « pigiste » 50 ans, malgré les changements d’actionnaires et de directeurs de la rédaction. Toutes ces années durant, Nat Hentoff écrit sur les sujets qui lui sont essentiels, obsédé par le Premier amendement de la Constitution américaine et le droit à la libre expression. Les droits civiques des noirs américains, la politique, l’éducation, la peine de mort… sont au cœur de ses luttes et de ses parutions, qui influenceront toute une génération de journalistes américains. En janvier 2009, Hentoff est licencié du Village Voice, mais continue d’écrire pour diverses revues comme United Features et la Jewish World Review, tenant aussi une rubrique jazz dans le Wall Street Journal.

 

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La musique était au centre de sa vie, et si le jazz y eut une place majeure, Nat Hentoff fut aussi l’un des premiers à repérer Bob Dylan, alors que l’artiste était totalement inconnu du public et se lançait dans les clubs de Greenwich Village. Devenus amis, ce sera à Hentoff que Dylan confiera le soin d’écrire les notes de pochette qui accompagnent son second et mythique album The Freewheelin’ Bob Dylan. Demandez à n’importe quel fan de jazz, la signature « Nat Hentoff » des textes qui accompagnaient alors les vinyles était la garantie d’un chef d’œuvre, sinon d’un disque incontournable et essentiel. L’écrivain et journaliste avait ce don unique de vous donner envie, en lisant ses notes de pochette, d’écouter immédiatement l’objet que vous teniez en main et de le posséder. Une époque désormais révolue, avec un « journalisme musical » quasiment disparu faute de talents et de plumes pour l’incarner. En 1961, il se lance dans la production, créant l’un des labels de jazz les plus audacieux, Candid Records, qu’il dirigera pendant un an, le temps d’y accueillir Charlie Mingus, Max Roach, Abbey Lincoln, Cecil Taylor… musiciens tous engagés dans la lutte pour les droits civiques, enregistrant chez Candid des albums devenus cultes dans l’histoire de la musique afro-américaine.

 

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Pour les amateurs français de polars, son nom reste associé  à « Le Diable et son jazz » (Blues for Charlie Darwin), un roman paru dans la Série noire en 1983, qui plonge le lecteur dans l’univers de Greenwich Village en compagnie de 2 flics inséparables, l’un noir et l’autre juif. Auteur de près de 30 romans, essais, livres pour enfants, Nat Hentoff était avant tout un homme de paradoxes, viscéralement attaché à la libre expression. Surveillé par le FBI comme « activiste » de gauche, il était contre l’avortement et un farouche opposant à la peine capitale, lutta contre Nixon mais aussi contre la candidature d’Obama en 2008, pacifiste, il supporta l’invasion de l’Irak par les USA, soutien fervent d’Israël, il s’opposa à l’invasion du Liban en 1983…
 

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Ce qui lui valut au passage d’être « excommunié » par 3 rabbins, à qui il répondit « Si seulement vous aviez l’autorité nécessaire pour me traduire devant un tribunal rabbinique, je vous conterais ma vie d’hérétique, une tradition que je maintiens précisément parce que je suis juif ». Hérétique, mais surtout libre-penseur, Nat Hentoff restera l’une des voix américaines les plus intenses et passionnées de ces 60 dernières années.
 
Alain Granat
 
Voir l’interview de Lenny Bruce par Nat Hentoff (1972)


Nat Hentoff Interviews Lenny Bruce from Ehsan Khoshbakht on Vimeo.
 
La bande-annonce du documentaire The Pleasures of Being Out Of Step qui lui a été consacré en 2014

© photos : DR
Article publié sur Jewpop le 9 janvier 2017. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2017  Jewpop

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