Un sac de billes, le coup de maître de Christian Duguay

9 minutes de lecture

 
 

On a envie de commencer cette chronique en disant que cette fois-ci, le spectateur n’a pas été pris pour une bille ! Pourtant, quoi de plus facile que de se caler sur une histoire (bien connue) aussi authentique, aussi prenante, aussi émouvante que celle narrée par Joseph Joffo il y a déjà 44 ans ? On pense aussi que c’est tabler sur un public conquis, que d’en produire un remake. Mais en sortant de la salle on se dit, voilà un sacré joli coup. Un coup de maître, pour tout dire.

 

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L’histoire est bien connue. Les parents juifs de deux jeunes garçons, Maurice (Batyste Fleurial) et son frère cadet Joseph (Dorian Le Clech), les envoient seuls loin de Paris, afin de les protéger du danger nazi. Ils prennent un train, puis un car, parviennent à passer la ligne de démarcation, et finissent par retrouver leurs parents sur la côte. En septembre 1943, la parenthèse azuréenne tourne au cauchemar, avec le départ des Italiens et l’arrivée du sinistre Aloïs Brunner. D’abord hébergés dans un camp de jeunesse pétainiste du nom de Moisson Nouvelle – à Golfe-Juan – les deux frères, de passage à Nice, sont arrêtés. Comme tant d’autres malheureux condamnés à la déportation, ils sont enfermés à l’hôtel Excelsior, le terrifiant siège de la Gestapo, avant d’en être libérés. Ce miracle se produit grâce à de faux certificats de baptême, fournis par le curé de l’église de la Buffa, avec l’aide de Monseigneur Rémond. Au passage, il est utile de rappeler que cet évêque fut ensuite nommé Juste parmi les Nations pour son exceptionnel travail de sauvetage des enfants, dans le cadre du « Réseau Marcel ».

 

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À Nice, nous connaissons cette Histoire sur le bout des doigts, et avec l’AMEJDAM*, nous nous apprêtons aussi à honorer cette année la mémoire des jeunes déportés qui furent, un temps, cachés à Golfe-Juan dans ce lieu-dit « Moisson Nouvelle ». Sa reconstitution dans le film est parfaite : alors que l’endroit n’existe plus que dans la mémoire de Joseph Joffo, il correspond au détail près à ce que l’on en imagine.

 

Mais trêve de digressions : après avoir fui la Côte d’Azur, c’est en Savoie que les deux frères se réfugieront, hébergés par un collabo plus vrai que nature. Une fois Paris libéré, ils retourneront – séparément – chez eux, sains et saufs. C’est bel et bien un voyage initiatique dont il est question dans ce récit, et dans le film de Christian Duguay. Le petit Joseph évolue à mesure que les épreuves se placent sur son chemin. Épaulé au début par son grand frère Maurice, il devient autonome à la fin de la guerre, et en revient grandi.

 

Bruel-Joffo-JewPop

 

Inutile d’en rajouter sur le jeu phénoménal de Dorian Le Clech et, du reste, de tous les acteurs de ce film. Le casting est impeccable. Patrick Bruel est tout de nuances et de véracité dans son rôle de père prêt à tout pour sauver ses enfants. Elsa Zylberstein allie force et douceur, une scène tragi-comique autour d’un violon révèle tout son talent. Christian Clavier bouffe l’écran, aussi brève que soit sa performance. Les autres seconds rôles sont aussi justes, notamment le curé qui sauve les enfants dans le train, ou celui de la Buffa, qui les tire des griffes des nazis. Autre point fort : les décors et les costumes. On s’y croirait, on en redemande !

 

Quant aux dialogues, ils sonnent aussi clairs que les accents. À peine si l’oreille vieillissante de quelque puriste linguiste repère une poignée d’anachronismes : qui aurait dit « Wow ! » en 1943 ? Ou bien « Tu es trop fort, papa ! » ou encore « on retourne sur Paris » ? – mais ne chipotons pas… À mesure que le film se déroule, le tragique alterne avec la légèreté – certaines scènes sont des boulets de canon, d’autres, des clichés de bonheur familial. Comme dans la vie, quoi.

 

Elsa-Bruel-Joffo-JewPop

 

Non content d’exploiter avec maestria un scénario comportant tous les éléments qui rendent un film efficace (les enfants, le danger, les amis, les faux-amis, la rencontre avec la mort, la rédemption, et une fin presque heureuse), c’est la métaphore de la bille que le réalisateur file le mieux. Un petit calot cabossé roule le long de ce film, illustrant les méandres que le destin réserve aux jeunes héros. À la demande d’un de ses copains, Joseph échange son étoile jaune contre un sac de billes. Et la belle bleue qu’il croyait avoir perdue reste la possession de Joseph, son talisman en quelque sorte, son mot de passe, sa preuve par neuf. Lorsqu’il égrène le nom des jeux, les assénant avec conviction à un officier allemand déterminé à le coincer, il le retourne. La bille tourbillonne, la vie tourne, parfois on gagne, parfois on perd. Joseph survit, tombe amoureux, mûrit, perd sa belle, et ne retrouvera pas sa famille intacte en rentrant à Paris.

 

La scène finale, muette, toute de finesse et de délicatesse vous arrache des larmes, tandis que, lentement, la dernière bille s’échappe de ce sac aux souvenirs…

 

Cathie Fidler

 
*Association pour la Mémoire des Enfants Juifs Déportés des Alpes Maritimes. https://amejdam06.blogspot.fr/
 

La bande-annonce de Un sac de billes


Cathie Fidler est écrivain, auteur de plusieurs romans parmi lesquels Histoires floues, La Retricoteuse… du livre d’art Hareng, une histoire d’amour, co-écrit avec Daniel Rozensztroch et récemment d’un ouvrage consacré à son père le peintre et céramiste Eugène Fidler « Eugène Fidler, Terres mêlées » (Les Éditions Ovadia).
Gratitude, le blog de Cathie Fidler
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© photos : Gaumont / DR

 
Article publié le 21 janvier 2017. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2017 Jewpop

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