Caramail, bonbons et chocolats.
Pour la génération Y (prononcez why), la question du sens a plus que jamais été sans réponse. Née après les grands mouvements politiques, privée de guerre (quelle ironie !), la rébellion de son adolescence n’a pu trouver de cause à sa mesure. De fait, elle a fait sienne le moindre événement réclamant son indignation. Élans inconstants, espoirs forcément déçus, mais aussi forcément renouvelés. «Compulsion» est son maître-mot. Quelles fées ont bien pu se pencher sur son berceau ? La littérature française semblait jusque là s’être peu souciée du destin de cette jeunesse : elle semblait reléguée dans la catégorie «fait social». Pourtant, elle arrive bientôt à maturité et commence enfin à trouver ses hérauts. Son destin est entré en littérature française avec le même mélange d’insouciance et de gravité impudique qui la caractérise.
Après quoi on court de Jérémy Sebbane (MA éditions) est un roman à la couverture mystérieuse : 4 silhouettes comme penchées au-dessus du lecteur, indistinctes. Leur apparition perce la lumière de leur ombre. Le texte suit le parcours chaotique de 4 adolescents, une ligne amoureuse qui ne peut que causer souffrance pour chacun d’entre-eux. Lisa qui aime Aaron, qui aime Michael, qui aime Diana. Racine fit d’un tel schéma une tragédie inoubliable (Andromaque), Jérémy Sebbane reprend ce canevas pour explorer les attentes et les peines de l’adolescence. Dans cette farandole qui exprime tout ce que l’amour non-partagé peut causer de manque, le roman oppose un contrepoids : la culture pop-tv-musique-ado des années 2000. Le roman a pour sous-titre «le roman amoureux d’une génération», et il fallait beaucoup d’empathie et d’affection pour cette culture et cette adolescence, pour retranscrire avec talent et sensibilité l’importance qu’aura eu une émission comme la Star Academy.
C’est l’un des atouts du roman et réussite de Jérémy Sebbane : parvenir à évoquer un instant d’histoire «enfants de la télé» sans tomber dans le cynisme, et en conservant un regard au premier degré. De fait, on retrouve la même passion à revivre la trop courte carrière d’un Grégory Lemarchal, comme si les héros de la télé-réalité faisaient désormais partie d’une nouvelle légende dorée. Car après quoi ces adolescents courent-ils ? Après l’amour bien sûr, mais pas seulement. Après eux-mêmes, après quelque chose à partager. Derrière leur égoïsme souvent agaçant, c’est le désir inassouvi de communion qui affleure. D’où l’importance de se trouver des idoles communes qui rassemblent ces îles éloignées les unes des autres, et le faire enfin se voir comme archipel.
Au niveau de sa structure, Après quoi on court se compose de courts chapitres alternant les points de vue des personnages. Vertige : que l’on ait une préférence pour l’un deux – faiblesse bien compréhensible, tant Jérémy Sebbane bichonne leurs états d’âme -, et l’on s’étonnera soudain de comprendre les raisons d’agir d’un personnage pourtant honni. C’est donc un texte où l’on est forcé de prendre parti, les sentiments projetés étant intenses, et qui surprend par un sens inné des ruptures rythmiques. Le côté journal intime fait sourire le lecteur, et provoque l’envie de prendre par la main ces adolescents que nous étions.
On sent dans le roman la nostalgie des happy ends, ces adolescents ayant été bercés par des fictions où l’existence se veut simple, où les difficultés trouvent toujours leur résolution. Bien évidemment, les événements de leurs vies démentent ces fantasmes, et derrière le malheur qui les frappe, leur naïveté les préserve du gouffre ou de la souillure. Et pour cause, leurs engagements, qu’ils soient amoureux ou politiques, sont tellement bercés d’idéalisme, jusqu’à l’inconséquence, qu’ils finissent par ignorer les tristesses qu’ils sèment sur leurs chemins. De nouveau cet égoïsme que l’on doit, pour être plus juste, appeler insouciance. Car, l’adolescence est une ère de funambules: on comprend que chaque chute peut être fatale, et l’on se garde de savoir s’il nous faut un filet pour se réceptionner ou apprendre à marcher pour traverser les abîmes.
En ce sens, traçant un fil délicat entre les illusions et leur perte, Jérémy Sebbane parvient à mener son lecteur de l’autre côté : ce que l’on a fui peut enfin devenir «après quoi on court».
Charles-Henri Levy
Après quoi on court, de Jérémy Sebbane (MA éditions), 224 pages, 14,90€
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Article publié le 17 juin 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop