Quand j’étais petit, ma mère me répétait souvent : « Mon fils, il y a deux types de gens en ce bas monde : ceux qui disent non et qui réfléchissent ensuite, et ceux qui disent oui et qui le regrettent ».
Son échec éducatif, je dois l’avouer malgré l’amour inconditionnel que je lui porte, est total : non seulement je sais depuis ma tendre enfance que je n’accèderai jamais à la première catégorie, mais je me dis depuis quelque temps que j’en ai même créé une troisième, taillée à ma mesure, sorte de carré VIP de la faiblesse de caractère : je prends spontanément, sans qu’on me demande rien, des engagements parfaitement absurdes.
Par exemple, je me suis engagé à rédiger pour la jeune mais vénérable institution judaïque à laquelle vous accordez actuellement la part de votre attention non fixée sur Candy Crush, dans les trois mois à venir, une dizaine de textes sur un sujet dont j’aurais dû prévoir le caractère incroyablement casse-gueule : le judaïsme new-yorkais vu par un Français. Ou New-York vue par un Juif français. Ou le judaïsme français vu de New-York. Enfin, vous voyez le genre.
Il faut dire que le matin de décembre parisien où j’ai formulé ma proposition au patron de Jewpop, je pensais tenir une excellente idée (à ma décharge, il était parfaitement d’accord) : au mélange d’arrogance et de communautarisme mal assumé qui caractérise la majorité des Français en exil s’ajoute ici une espèce de paradoxe amusant à étudier ; New-York, pour le Juif français, c’est à la fois très familier — puisque c’est, assez loin devant Tel-Aviv, la première ville juive du monde — et pas moins étranger, en vrai, que pour n’importe quel autre Français — mais ça, on évitera de se l’avouer.
Poussant encore plus loin le délire, j’ai même soumis il y a quelques semaines, au lieu de sauver ce qui me restait de dignité en saisissant ma dernière chance de faire machine arrière, la liste des thèmes que je comptais aborder : j’ai promis de causer identité nationale (si si), démographie et particularisme ethnique (un problème ?), divergences théologiques transatlantiques (j’ai totalement le niveau), dépaysement culinaire (accrochez-vous), rencontres communautaires (caliente), portraits de la population indigène (façon La Bruyère), vie de famille (et oui, quand même), et quelques autres trucs.
Aujourd’hui, en ce dimanche après-midi d’hiver, assis à une table de la New York Public Library entre un Juif tunisien plongé dans son examen d’analyse financière et une asiatique fichant frénétiquement ses cours de maths (ils sont faits pour s’entendre), je mesure le ridicule de la punition que je me suis auto-infligée.
Mais il est trop tard pour se dégonfler. À l’instar de Theodor Herzl, je m’efforce de penser : Wenn ihr wollt, ist es kein Märchen. En français : si vous le voulez, ce n’est pas un rêve. Non Theodor, ce n’est pas un rêve : avec un peu d’huile de coude et beaucoup de mauvaise foi, je vais les écrire, ces articles. J’espère, histoire de sauver la face, que vous les apprécierez.
Rubin Sfadj
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Article publié le 18 février 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop
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