Aujourd’hui, on est le 8 mars, c’est la journée des femmes, alors je me dis que ce serait sympa de marquer le coup parce que physiologiquement, aux dernières nouvelles : j’en suis une.
– Hey les copines, il paraît que c’est notre fête aujourd’hui, on va au feu d’artifice de la Woman Pride ou on se noie dans un pot de Nutella ?
– Euh, la Woman Pride n’existe pas et pour le Nutella, faut rester mince… On est des femmes, non ?
Bonne question, concrètement, comment on fête la journée des femmes ?
Déjà une chose me rassure : en général, quand on décrète des jours pour des causes, on le fait pour des causes exceptionnelles. Ça veut dire que les femmes sont exceptionnelles. Ouf, bonne nouvelle ! Mais dans exceptionnelles, il y a la notion de minorité. Nous sommes quasi aussi nombreuses que les hommes, à 60 millions près, dans le monde, mais toujours considérées comme une minorité, une minorité très visible certes mais qu’on cherche encore à rendre invisible, voire à voiler intégralement.
Au Qatar, on compte seulement 22% de femmes dans la population. Ce sont plutôt les hommes qui sont tentés de s’y expatrier pour les affaires. Comme c’est curieux !
Dans la plupart des pays développés, on trouve plus de femmes que d’hommes, mais dans certaines puissances comme la Chine et l’Inde, les avortements sélectifs et infanticides de filles existent toujours pour inverser la tendance.
Notre histoire de femmes en est à un tournant déterminant. Nous n’avons jamais été aussi libres et aussi pieds et poings liés en même temps, comme si on avait obtenu un prêt pour notre indépendance et que la société nous demandait de rendre des comptes. Droit de vote, droit de travailler, droit de s’exprimer, comment on va te faire rembourser tout ça ?
« Tu t’es faite traitée de sale p*** ? Tu l’avais un peu cherché, quelle idée de sortir déguisée en femme ? ».
« Tu veux être payée comme un homme, mais pourquoi vouloir tomber enceinte au moment le plus exponentiel de ta carrière ? »
Alors comme moi-même, je n’arrive pas à savoir exactement ce qu’est la journée de la femme, je vais demander :
– Dis moi Jamy, c’est quoi la journée de la femme ?
– Excellente question Fred !
– Euh non moi c’est Annabelle …
– Et bien, c’est pas sorcier Fred, la journée de la femme est une journée permettant de célébrer une fois par an le droit des femmes, le droit des femmes à ouvrir leur bouche, maquillée ou non, pour mieux leur faire passer la pilule pour tout le reste de l’année.
– Ah ok ça semble plus clair, Merci Jamy !
Donc on fête pendant un jour le droit des femmes, pour tranquillement pouvoir célébrer les 364 autres jours de l’année : leurs devoirs !
Devoir paraître indépendante et libérée tout en étant une gentille femme d’intérieur et posée,
Devoir être éduquée, intelligente et bien payée mais moins que les hommes pour ne pas les castrer
Devoir accentuer sa beauté pour se faire remarquer mais pas trop pour ne pas se faire harceler
Devoir enfanter pour l’équilibre du couple, mais en toute discrétion pour l’équilibre de ton patron
Devoir allumer sans être une allumeuse
Devoir avoir la sensibilité et l’intuition féminine tout en en ayant dans le pantalon
Devoir être performante et absorber comme un déo : 48h par jour !
Devoir encore répondre à la question « Mademoiselle ou Madame ? »
Devoir être forte et fragile à la fois, comme un bon vieux slogan de fromage de supermarché
Devoir répondre aux avances des toquards dans la rue avec le sourire pour ne pas se faire taper, mais sans le sourire pour ne pas se faire violer
Devoir dire non tout en pensant oui, devoir dire oui tout en pensant non…
Devoir encore et toujours…
Finalement, on croit qu’après le CM2, les exercices de « problèmes », c’est du passé, mais c’est de la gnognotte à côté de ce qui va nous arriver.
« Il y a 24 heures dans une journée, sachant que : Emilie passe ½ heure à se préparer : coiffure, maquillage, habillage, 1 heure le matin pour les enfants : petit déj, habillage, taxi pour l’école, 10 heures au travail, 3 heures le soir de nouveau pour les enfants : devoirs, bain, repas, coucher, 1 heure pour le diner avec son chéri : cuisine, rangement, vaisselle, 1 heure pour ses paperasses : courrier, factures, dossiers, ½ heure pour appeler sa mère, ½ heure pour se coucher : démaquillage, déshabillage, rangement, ½ heure pour chouchouter son chéri et qu’elle a besoin de 6 heures de sommeil… Combien reste-t-il de temps à Emilie pour s’occuper vraiment d’elle-même ? ».
Vous avez 4 heures ! Euh ben non justement, vous n’avez pas le temps… Mais vous le trouvez quand même. C’est ça, le super-pouvoir féminin : allonger le temps, être à plusieurs endroits au même moment, penser à tout, changer de rôle en fonction de son interlocuteur, rebondir…
C’est ça, notre secret : les femmes sont les superhéros de l’ombre, les Avengers des temps modernes aux multiples dons de transformation et d’ubiquité. Mais chut ! Les hommes ne sont pas au courant, du moins certains font semblant de ne pas le savoir. Comme dans les blockbusters, les superhéros doivent faire beaucoup d’efforts pour être acceptés dans la société parce qu’Ils font peur.
On doit faire peur en fait, tout ça parce qu’on a croqué dans une pomme à la base. «C’est le serpent qui m’a forcé ». Aujourd’hui, il faut croire que le ver, ou plutôt le serpent, est encore dans la pomme. À la différence que la pomme est devenue soit bio, soit pleine d’ogm. Est-ce normal, en 2015, de devoir lancer une campagne gouvernementale contre le harcèlement fait aux femmes, et de devoir surenchérir en 2016 en sensibilisant contre le viol, pour expliquer que « Le Viol : c’est pas bien » et que quand « On dit non, c’est non ! » ?
La semaine dernière, Hollande remet la légion d’honneur à un prince d’Arabie saoudite qui donne aux femmes une liberté comparable aux cheveux de Geneviève de Fontenay coincés dans son chapeau. J’ai 2 hypothèses : soit La définition de l’honneur a changé dans le petit Robert, soit on donne autant d’importance à ces femmes qu’aux textes écrits en petits caractères dans les pubs Cetelem. Je penche pour la première explication, je suis idéaliste.
Et d’ailleurs, pourquoi le 8 mars ? C’est même pas un jour férié. On pourrait fêter le droit de nous foutre la paix au moins une fois. Est-ce que ce jour là, dans la rue, les blaireaux arrêtent de te mater ? Tes collègues masculins s’abstiennent de te faire des réflexions misogynes ? T’es payée plus cher pour compenser l’inégalité salariale ? Non rien de tout ça.
Finalement le 8 Mars, c’est un peu comme la Saint Valentin, on en parle, on sait que ça existe, ça rassure, mais ça va, c’est commercial, c’est pas grave si on ne la fête pas finalement…
Les machos diront que c’est le jour des emmerdeuses. Effectivement, c’est le jour des emmerdeuses au sens noble du terme, qui font bouger les choses, qui l’ouvrent pour toutes celles qui ne le peuvent pas. Quand tu te fais emmerder, c’est normal de devenir une emmerdeuse. Déjà être née femme en soi, c’est pas évident, mais selon le pays dont tu viens, la famille où tu es née, les valeurs dans lesquelles on t’a élevé, ça peut être un vrai calvaire.
Finalement le 8 mars, c’est le jour où tu célèbres toutes ces femmes qui ont un quotidien encore plus dur que le tien, qui doivent lutter pour s’exprimer, pour déambuler, pour exister. Ça ne change rien à ton quotidien mais c’est ce jour où au fond de toi, par la pensée, tu donnes la main à tes copines du monde entier et tu leur dis « Marchez fièrement, tête haute et cheveux aux vents , J’ai le droit d’être une femme tous les jours de l’année et si ça te plaît pas, je t’emmerde. »
Quand tout le monde aura compris ça, hommes et femmes confondus, le monde tournera peut-être un peu plus rond, comme un ventre de femme prêt à donner la vie.
Annabelle Nakache
NDLR : Annabelle est comédienne et se produit tous les vendredis et samedis à 20h au Théâtre Le Lieu, 41 rue de Trévise à Paris, dans son one woman show « Annabelle est Comic Woman » (lire son interview sur Jewpop ici)
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Article publié le 8 mars 2016. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2016 Jewpop