Foodie-Goodie n°1 : boulettes ashkénazes vs boulettes séfarades

11 minutes de lecture

 
Le communautarisme légendaire des ashkénazes et des séfarades ne s’arrête malheureusement pas à la plus belle mélodie de Lekha Dodi, au classement des meilleurs rabbins alsaciens et marocains de 1800 à nos jours, ou à déterminer qui de Mike Brant ou Richard Anthony a eu le destin le plus tragique. C’est bien connu, l’un des champs de bataille de prédilection de ceux qui se considèrent réciproquement comme « pas tout à fait assez » et « quand même un peu trop » (courageusement, je vous laisse identifier qui est qui), mesure en moyenne 8m², et on y trouve souvent, quelle que soit la communauté : quatre à dix femmes d’une même famille, un ami/cousin/frère/beau-frère/fils dans le rôle du goûteur, et si on a de la chance, un vieux ou une vieille qui engueule tout le monde.
 
Après, si on veut vraiment souligner les spécificités, on peut prétendre qu’une bubbe lituanienne gueule plus fort que dix jeunes marocaines, ou l’inverse, mais je ne veux pas entrer dans ce genre de considérations. Donc pour ma première chronique culinaire sur Jewpop, j’ai choisi de fédérer plutôt que de jeter de l’huile sur le feu, car de l’huile il va en falloir, alors économisons-là !
 

 
Pour inaugurer cette rubrique “Foodie-Goodie”, je vous offre non pas une, mais deux recettes de boulettes ! L’une super ashké (avec des cailloux dedans, c’est le seul truc qui pousse en Ukraine par -15°), l’autre méga séf (roulée dans le sable, pour atténuer le goût du piment). 
Mais avant toute chose, rappelons les fondamentaux.
 
Premièrement, d’après ma grand-mère, qui n’a jamais voulu citer ses sources mais dont le ton assuré laisse croire qu’elle connaissait des gens dans le milieu : « Aux mariages juifs, on boit moins d’alcool, mais on mange beaucoup plus (qu’aux mariages non-juifs s’entend) ». Et pas qu’aux mariages, ajouterais-je sans hésiter. Chez moi, que vous veniez seul ou accompagné des 12 tribus d’Israël, il y a toujours la même quantité de bouffe, la seule qui convienne aux tablées de toutes les tailles : trop. Comme ça vous repartez avec un bon souvenir et un petit paquetage pour consoler votre famille à votre retour de mon dîner parfaitement parfait. Ne vous étonnez donc pas des quantités présentées dans les recettes qui suivront, ce n’est que le minimum syndical en dessous duquel je ne peux pas descendre, sans passer à mes propres yeux pour une énorme karg.
 

 
Deuxièmement, comme me l’a récemment rappelé un bon ami, et cette phrase résume à elle seule toute la dynamique des fêtes juives : « They tried to kill us. They failed. Let’s eat !» (« Ils ont voulu nous tuer. Ils ont échoué. À table !»). À la différence que pour moi, tout est prétexte à passer deux jours dans la cuisine, pas seulement la commémoration de notre survie à telle ou telle tentative de pogrom et génocide. C’est vrai que je pourrais m’en tenir à ce motif, tant ses nombreuses déclinaisons à travers l’histoire offrent d’occasions de se gaver de gâteaux jusqu’à sombrer dans le coma glucidique, mais ce serait trop facile de ne se goinfrer que face à l’adversité. Le « comfort-food », je suis méchamment contre. Une fille qui s’empiffre de glace à même le pot à cause d’un pauvre type qui a eu la bêtise de la larguer, c’est vraiment le comble de la loose à mes yeux (et c’est pas très sympa pour celui ou celle qui voudrait aussi de la glace, mais qui doit aller s’en racheter parce que Cynthia passe sans scrupules la cuillère de sa bouche au pot, et vice-versa, bonjour l’hygiène !).
 
Non à la surdose névrotique, oui à la dégustation jubilatoire ! Comme Alexandre Astier l’a écrit et fait dire à Karadoc dans son «Kaamelott» : « Le gras, c’est la vie», ouvrons-lui les bras (à la vie) et croquons dedans à pleines dents ! (au gras). Ici, vous ne trouverez que le plaisir de cuisiner, de déguster et de partager. Ainsi, face au choix cornélien qui voudrait une fois de plus qu’on oppose ashkénazes et séfarades, je vous encourage au contraire à ne pas choisir et à accompagner ces délicieuses boulettes de l’Est par ces succulentes boulettes du Sud.
 

 
 

Boulettes ashkénazes

 
600g de bœuf haché
200g de pain sec (ou de biscottes) ramolli dans ¼ à ½ litre de lait végétal (amande, riz, soja) ou d’eau
3 oignons jeunes émincés
1 botte de persil plat lavé, essoré, ciselé
2 œufs
(ingrédients pour une quinzaine de boulettes)
sel, poivre
huile d’olive pour la cuisson
 

Boulettes séfarades

 
600g de bœuf haché
200g de pain sec (ou de biscottes) ramolli dans ¼ à ½ litre de lait végétal (amande, riz, soja) ou d’eau
3 oignons jeunes émincés
1 botte de coriandre lavée, essorée, ciselée
15 feuilles de menthe lavées, essorées, ciselées
2 cuillères à café de curcuma en poudre
2 œufs
(ingrédients pour une quinzaine de boulettes)
sel, poivre
huile d’olive pour la cuisson
 
Pour chaque recette, commencez par bien faire ramollir le pain dans le liquide. Une fois ce dernier absorbé et le pain effrité, jetez l’excédent de liquide. Mélangez tous les ingrédients et spleurtchez, c’est-à-dire pétrissez-les à mains nues, dans un grand saladier afin d’obtenir un mélange homogène. Si vous êtes carnivore comme moi, goûtez-en un peu, sinon c’est le moment d’appeler le goûteur, et assaisonnez en sel et poivre. Formez des boules de 5-6 cms de diamètre légèrement aplaties (pour une meilleure cuisson) et cuisez-les dans une poêle (ou deux, ou quatre, selon la quantité de boulettes) pleine d’huile chaude pendant 5 à 10 minutes de chaque côté selon la cuisson désirée.
Accompagnements : salade de pommes de terre ; pommes de terre rôties au za’atar ; salade israélienne ; beignets de fleurs de courgette… Quand je choisis de faire des boulettes séf, je les accompagne généralement d’un couscous dont j’ai la houtzpah de croire qu’il aurait plu à Elie Kakou déguisé en Madame Sarfati.
S’il en reste – comment ça il en reste, elles sont pas bonnes, mes boulettes ? – vous pouvez les conserver au frigo et les dévorer le lendemain matin au petit dej avec de la mayonnaise et des cornichons malossol. Enfin, je dis « vous pouvez » mais en fait « vous devez ».
 

 
Précision utile : les meilleurs cornichons aigre-doux ne sont ni polonais ni russes, mais allemands, et ils répondent au joli nom de Schlemmertöpfchen, de la marque Kühne. Si vous arrivez à prononcer tout ça sans postillonner vos boulettes, ni vous étrangler de culpabilité à l’idée que, seulement pour les cornichons, « Deutschland über alles », vous gagnez un prix de distinction et de résilience délivré par Nadine de Rothschild.
 

Vous connaissiez les boulettes avant

Les voici maintenant

Noémi Garfinkel

Lire la chronique Tout ce qui est juif est maladroit de Noémi Garfinkel

© photo : DR, Noémi Garfinkel

Article publié le 21 mai 2015. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2015 Jewpop

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