Je me souviens très bien de la veille de mon mariage religieux. Pour une nuit, j’avais réintégré mon ancienne chambre. Avec en fond sonore le ronflement régulier de mes parents de l’autre côté du mur, j’avais passé la nuit à relire mon journal intime d’ado, photographié sous tous les angles ma robe de mariée accrochée au dos de la porte, et feuilleté les vieux Ok Podium dans lesquels j’avais dilapidé tout le butin de mes babysitting. Le 30 mai 2012, la veille de mon divorce religieux « guet », j’ai dormi comme une masse. Et comme je ne voulais rien faire comme le jour du mariage, j’étais pile à l’heure.
J’avais fait le forcing pour le mariage religieux. En toute logique, c’est lui qui a beaucoup insisté pour le guet. Fraîchement divorcée civilement, emménageant dans mon nouvel appartement, je goûtais au plaisir à présent solitaire de monter un meuble Ikea, quand j’ai reçu un texto. « J’aimerais prendre rendez-vous avec le service du guet au Consistoire, vite, très vite. Merci de me donner tes disponibilités. » Et oui, tout arrive, l’homme qui quelques mois auparavant traînait les pieds pour descendre à la cave le lit-bébé, résilier l’abonnement TPS ou ranger ses papiers, avait tout à coup une envie folle de faire les choses « vite, très vite ». J’avais donc laissé traîner. Mais bon, quand faut y aller, faut y aller.
Début avril dernier, nous voilà dans le petit bureau d’un rabbin à la barbe poivre et sel et au regard empathique. En prenant une grande inspiration, il nous demande : « Alors qu’est ce qui ne va pas ? ». L’ex, qui décidément ne change pas sur tout, se renfrogne sur sa chaise en se frottant les mains. Je prends donc la parole : « on est divorcés civilement et on voudrait divorcer religieusement ». Le rabbin enchaîne : « du calme. Vous savez, le couple est une aventure humaine compliquée. Rien n’est impossible à celles et ceux qui souhaitent fonder un foyer juif dans la thora et l’amour de Dieu ».
Je le comprends un peu, le rabbin qui fait que du divorce. Il s’emmerde autant que le médecin-légiste qui tente d’engager la conversation avec son client en pleine autopsie. Et comme le propre des juifs est aussi de croire aux miracles, il tente sa chance, on ne sait jamais. Et puis « sauver » un couple, ça aurait de la gueule auprès de ses collègues, selon la convention collective des rabbins, ça doit leur permettre de récupérer des RTT ou des points retraites. Constatant l’encéphalogramme plat de notre relation, le rabbin nous oriente vers sa secrétaire pour fixer une date.
La secrétaire du service : « jeudi 31 mai, ça vous va ?». Je me retiens de lui dire, en regardant celui qui est encore mon mari devant Dieu : « c’est bien en mai chéri, il fait beau. Bon, on aurait préféré un dimanche pour qu’il y ait plus de monde, mais on s’en contentera, je suis tellement heureuse ! » et lui souffle : « vendu ».
Je repars en me disant que la meuf du service des divorces doit faire des paris clandestins avec la meuf du service des mariages au 2eme étage. Cette dernière doit se ruer sur le téléphone quand les futurs couples quittent son bureau : « alors tu notes, c’est le couple Bismuth-Attia. A vue de nez, je dirais qu’ils vont passer te voir dans 6 mois, 8 mois maximum. La mère de la fille m’a déjà appelé deux fois pour me dire que la mère du marié avait acheté sa conversion à Casablanca. Je mets 15 euros. »
Le jour J, j’ai mis une jupe et un foulard et suis passée en mode « me fais pas chier ». Dans la salle d’attente :
Le futur-ex : C’est nouveau ce sac. Tu es très jolie.
Moi : Oui j’ai un rencard après, je suis dans une bonne énergie aujourd’hui…
Le futur-ex : Tu crois que ça va durer longtemps ?
Moi : Moins que notre mariage, tu penses que tu vas tenir ?
Le futur-ex : Au fait, j’ai reçu le relevé du PEL et je pensais qu’il y avait plus…
Moi : Un sac Chloé, ça coûte… Fais moi une réflexion et j’envoie le reste en ton nom au comité de soutien de Christian Vanneste.
Le futur-ex : Tu n’oserais pas !
Moi : Ne me tente pas.
Dans le bureau, face à nous, un rabbin et deux témoins. Quand le futur-ex s’est rendu compte qu’il n’était pas équipé, il s’est retourné vers moi l’air paniqué, pensant que j’allais retourner mon sac à la recherche de la précieuse kippa que je lui tendais à chaque occasion (mariage, brit-milah, repas de chabbath, enterrement) avant. Mais ça, c’était avant.
Face à moi, le futur-ex dépose dans mes mains le parchemin qui scelle notre séparation. « Vous ne devez pas lui prendre, il doit vous le donner » répète le rabbin après mon faux-départ. J’ai soufflé en tentant de me concentrer et en justifiant : « C’est compliqué. Moi, ma discipline de prédilection, c’est refermer l’index avec l’alliance. Je suis désolée. Je me sens comme Usain Bolt sur une piste de curling ».
En sortant, l’ex entre dans l’ascenseur. Je décide de prendre l’escalier. Arrivée au 2e étage, je le vois taper à la porte du service des mariages. Je continue mon chemin en imaginant la prochaine conversation entre la secrétaire du service des divorces et sa collègue des mariages :
Secrétaire des mariages : « Mais si, je te dis qu’il vient de retirer un dossier ! »
Secrétaire des divorces : « Mais c’est impossible, il sort de chez moi. Il vient de divorcer »
Secrétaire des mariages : « Oh purée, ça sent le champion toute catégorie ! »
Secrétaire des divorces : « T’emballe pas. D’ailleurs en parlant de champions, ça fait un bail qu’on n’a pas vu David P. Tu crois qu’il va revenir un jour ? »
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
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