C’est décidé, le Barzilaï en poche, je commence un oulpan à Paris. Des amis me recommandent chaudement un centre de formation de langues. Tenu par Ouri, un israélien dégarni en chemisette à manches courtes venu faire son alya au pays de Voltaire, le cours propose officiellement toutes les langues, mais n’a en réalité qu’un cours d’hébreu, dispensé par Ouri lui-même.
Le centre de formation fonctionne comme l’opticien et ton plafond de remboursement de mutuelle. Sur le site, l’année de cours est annoncée à 500 euros. Mais si tu es profession libérale (ou salarié) et que tu bénéficies du fonds de formation, tu peux faire l’oulpan aux frais de la princesse. Le téléphone dégainé tel un Uzi avant que je n’aie le temps de dire ouf, Ouri appelle pour vérifier à combien ai-je droit. En l’espace de 10 secondes, le cours passe à 1.100 euros. Je m’étonne timidement au moment de signer :
Moi : « c’était pas 500 euros ? »
Ouri : « ha non, 500 euros c’est le tarif particuliers, pour les sociétés c’est 1.100 euros »
Moi : « mais, mais (j’en perds mon latin) je suis pas une société, je suis médecin »
Ouri : « pas de problème, si vous voulez, vous ne passez pas par le fonds et vous réglez vous-même directement les 500 euros. C’est à vous de voir. A kol besseder ? ».
J’aurais pu battre en retraite. Mais comme à part Ouri, ma seule alternative est le cours communautaire (où le taux de turn over des professeurs flirte avec les 3 mois), j’accepte l’arrangement en espérant qu’il ne va pas me faire le plan de l’auto-école en liquidation judiciaire en cours d’année.
Les cours commencent. L’oulpan à Paris, c’est un peu la Cour des miracles.
Il y a Michel et Cathy, abonnés à la newsletter du Crif, la soixantaine passée, tous deux membres du Bnai Brith. Ils redoublent la kita alef (au bout d’un an, ils confondaient toujours le Rech et le Daleth). Ils ressassent depuis quinze ans l’histoire du reportage d’Enderlin sur le petit Al Doura et relaient tous azimuts les chaînes de mails sur les incohérences des photos-montages vues dans les médias pendant l’opération «Plomb durci». Ils ont réécouté en boucle « Plaidoyer pour ma terre » en juillet dernier (c’est fou, c’est toujours d’actualité ce texte quand même, hein ?) mais ne feront pas leur alya car ils préfèrent partir à Deauville le week-end jouer aux cartes (au gin pour les initiés).
Il y a ceux qui, inscrits mi-janvier 2015 en urgence, ont payé l’année, suivi 2 cours puis ne sont jamais revenus.
Yohann suit également le cours. La trentaine, crâne (et poils du torse) rasé, bracelet en cuir, ancien membre actif de la LDJ, Yohann ne fait rien de sa vie hormis des cours de krav maga et des tours de scooter rue des Rosiers. Il sait tout mieux que tout le monde et croit qu’il va pouvoir intégrer le shin beth en écoutant avec ferveur la méthode Assimil le soir sur son Ipad (ce qui n’est d’ailleurs pas de trop puisqu’il finira serveur sur Frishman, faisant croire à qui voudra l’entendre que c’est sa couverture).
J’ai aussi fait la connaissance de Simone, 50 ans, jamais mariée. Philosémite, elle s’est récemment trouvée des origines juives par son grand-père paternel et est désormais bénévole dans un centre pour handicapés juifs. Elle n’a pas encore vraiment compris que Roni Braumann n’était pas un copain à nous, mais progresse significativement en écriture cursive et rougit quand elle prend la parole (surtout quand Ouri prononce son nom en appuyant sur le O, lui ajoutant un accent circonflexe). L’ambiance devient parfois houleuse, quand Yohann scande avec vigueur à Simone que les juifs n’ont pas le droit d’aller dans une église par ce que c’est Assour. Mais Simône n’y prête garde, convaincue de se rapprocher du Peuple élu en fréquentant les cours d’Ouri.
Dan lui fait Techouva. Il se couvre la tête dès que commence le cours (ben quoi, l’apprentissage de l’hébreu moderne c’est de l’étude non ?). Il trouve une signification religieuse à chaque racine de mot et rapporte tout au Talmud. Lui non plus n’est pas marié, mais après avoir essuyé plusieurs refus aux soirées organisées par Les 12 tribus (il a aussi essayé sans succès celles de JOSE), il s’est dit que peut être, sait-on jamais, il pourrait trouver l’élue chez Ouri.
Houmous sur la boulette (comprendre cerise sur le gâteau, ou carotte sur la carpe pour les puristes), Mike et Jessie sont là aussi. Ils préparent (c’est un bien grand mot) leur alya. Ecoutent Lior Narkis dans leur Quashquaï financée grâce à un crédit Sofinco. Pleins d’espoir, Baruh Hachem, ils esquissent une fierté incommensurable à reconnaître les mots « rehov », « tahana merkazit » et « mazgan » appris quinze années plus tôt au BBYO dans le car qui les emmenait à Karmit. Deux enfants, pas de boulot, ils ont raison de croire que l’on n’attend qu’eux en eretz (surtout Bibi, dont ils ont fièrement partagé sur leur page Facebook le discours prononcé lors de sa venue en la synagogue de la Victoire).
Et il y a moi. Moi, je suis an-goi-ssée. Le mot est lâché. C’est d’ailleurs un pléonasme (pour ceux à qui cela aurait échappé, je m’appelle Klein et je ne viens pas de Bretagne). Telle une juive errante en France, j’apprends l’hébreu. Je me dis que cela ne coûte rien (et c’est le cas de le dire) et que ça servira toujours un jour, au cas où, juste comme ça, je devrais faire mon baluchon… [maestro, violon sous le menton, musique de Anatevka en fond s’il vous plait].
Je révise dans le métro, tête baissée sur le livre que j’ai soigneusement recouvert de papier kraft pour ne pas me faire égorger à la station Barbès-Rochechouart. Je ne comprends rien aux règles de l’infinitif et je suis régulièrement réveillée en sursaut la nuit, menacée par un dibbouk véhément crachant des verbes en Piel écrits sur du papier mâché. Et je finis par me dire qu’après tout, où que je sois et avec tous les meilleurs efforts du monde, je resterai une fille d’émigrés. Et au pire, je pourrais toujours parler russe avec le chauffeur de taxi le jour de mon arrivée à Ben Gourion.
Ella Klein
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Article publié le 4 mai 2015. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2015 Jewpop