A peine âgé de vingt-cinq ans, l’État d’Israël eut à affronter en octobre 1973 un traumatisme sans précédent. Des erreurs tactiques aux aveuglements des généraux, des conflits des services en inexactes appréciations des zones stratégiques, la Guerre du Yom Kippour a marqué la fin d’un mythe : celui de l’invincibilité de Tsahal. Comment l’armée à la victoire éclair et écrasante lors de la Guerre des six jours allait se révéler quelques années plus tard incapable de décoder les multiples signaux et avertissements d’alerte d’une invasion imminente ? La surprise a pris toutes les autorités à revers et les pertes humaines n’ont jamais été aussi lourdes. C’est l’histoire d’un désastre militaire que nous détaillent Marius Schattner et Frédérique Schillo par un essai savamment documenté, qui, jour par jour, retrace la stupéfaction d’un minuscule pays puis la riposte contre une coalition intelligemment organisée.
C’est une guerre qui longtemps n’a pas dit son nom. Une défaite annoncée évitée in extremis. Pendant que les voisins arabes digéraient la cuisante défaite de 1967 et que l’idéal de panarabisme essayait de s’en relever, Israël se développait. Entre des hostilités sporadiques aux frontières et des tentatives terroristes qui s’organisent de l’étranger, l’État juif savourait son triomphe éclatant, organisait tant bien que mal son économie, colonisait et s’exportait, laissant la politique intérieure aux seules commandes de son destin. Certes, l’ouvrage a le mérite de revenir sur la «guerre d’usure», cette période d’intermittence des combats assez méconnue entre 1967 et 1973, mais l’essentiel à venir n’a jamais été envisagé par les instances en charge de la sécurité. L’assaut surprise et conjoint des forces syriennes et égyptiennes allait demeurer parmi les pages les plus sombres de l’histoire de Jérusalem. Un traumatisme sans précédent où le pouvoir a vacillé, les décisionnaires tremblé et les unités militaires trinqué. Des services de renseignements aux abois, des ministres aux aguets et un aveuglement de part et d’autre. En somme, un conflit moderne prêt à embraser un continent, un rapport de forces qui bascule d’un camp à l’autre et les braises d’une guerre froide qui se ravivent aux confins du Moyen-Orient.
Il a fallu attendre 2010 pour que les archives soient déclassifiées et que de rares secrets soient distillés. Schattner et Schillo reviennent alors sur l’incroyable personnage Ashraf Marwan, gendre du président égyptien Gamal Abdel Nasser, qui a pu fournir une masse considérable d’informations aux services de renseignement israéliens dans les mois qui ont précédé l’attaque. Mais les interrogations demeurent et les spéculations sont toujours d’actualité quand il faut encore faire le bilan d’un échec. Le livre met parfaitement en lumière la spécificité d’une région du globe où tout donne matière à douter, s’emporter ou s’affronter. Ashraf Marwan agent double ? Agent triple ? Ses mises en garde ont-elles été trop vagues ? Trop tardives ? Entre les services du renseignement Aman et ceux du Mossad, le jeu des dupes et des illusions a coûté cher et les défaillances de chacun ont pesé lourd.
Entre des responsables politiques paniqués et d’autres incompétents, entre une diplomatie volatile et des pressions internationales ambivalentes, la Guerre du Kippour restera à jamais celle des aveuglements et des douleurs. Moshé Dayan, Golda Meir et tant de héros d’antan n’ont rien vu venir et en payeront le prix lors du recensement des trois mille morts et des huit mille blessés. En filigrane, un bouleversement du paysage politique qui s’annonce et des arbitrages internationaux qui se dessinent. L’essai se dévorerait alors comme un roman d’espionnage s’il ne fallait pas prendre avec gravité une attaque qui a profondément marqué les chairs et les esprits d’une nation prise au piège le jour le plus solennel de son calendrier. La guerre du Yom Kippour et rien ne sera plus jamais comme avant. Israël n’est plus invincible, le conflit israélo-arabe est désormais éternel et la realpolitik devra jongler entre les puissances pétrolières, des tensions mondiales permanentes et le jeu des alliances ou des mésalliances…
Le pays a tremblé et toutes les certitudes ont volé aux éclats, Israël pourrait disparaître. Ce n’est alors que dans ces moments que le jeune État hébreu s’est relevé. Les superpuissances haussent le ton et la menace nucléaire est envisagée. Mais pendant que s’organise le ballet des diplomates et la valse des médiations au Conseil de sécurité des Nations-Unies, la riposte change de tactique. Le Général Ariel Sharon, faisant fi de sa hiérarchie et au prix d’une insubordination unique chez Tsahal, prend l’initiative d’utiliser l’infanterie pour s’infiltrer jusqu’aux batteries égyptiennes de missiles sol-air et antichars. Le canal de Suez est alors franchi et la troisième armée égyptienne encerclée, complètement isolée. Les réserves stratégiques égyptiennes sont vidées pendant que la bataille navale contre les navires syriens fait rage. Les talents de Sharon ont profité des erreurs de Sadate, pendant que la marine israélienne prend l’ascendant sur le flanc Est. C’est l’heure tant attendue du retournement de situation, où aviation et blindés peuvent alors revenir en scène. La division israélienne est désormais à peine à 100 kilomètres de la capitale égyptienne, et l’heure du cessez-le-feu doit désormais être acceptée.
1973, année catastrophique. La guerre du Kippour, c’est l’histoire d’un séisme politique et militaire. Jusqu’à ce que la nation réclame des comptes et que des têtes tombent. Une tension morale sans précédent, où l’isolement diplomatique a été moins retentissant que des manifestations de colère, enquêtes parlementaires et sanctions, puis des démissions en pagaille dont celle de Golda Meir, entraînant la chute de son gouvernement. Un nouveau paysage politique voit le jour et l’ère des accords et conférences pour la paix démarre. L’ultranationalisme religieux sort du lot pendant que les partis de droite et de gauche cherchent à surmonter la crise en s’affrontant sur des idéologies plus extrêmes. Quarante années après, on repense au discours historique du président Sadate devant la Knesset en 1977, et l’une de ses déclarations, la Guerre du Kippour fut définitivement «une nouvelle écriture de l’Histoire».
Jérémie Boulay
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La Guerre du Kippour n’aura pas lieu, comment Israël s’est fait surprendre.
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Article publié le 12 décembre 2013. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2013 Jewpop