Avec Le trompettiste de Staline (Plon, collection « Roman et Histoire »), Patrick Anidjar, journaliste et féru de jazz, embarque le lecteur dans une (en)quête passionnante, de l’Odessa pré-révolutionnaire au New-York du 11 septembre, en passant par le Paris des années folles, ses cabarets jazz et le pletzl, Harlem nocturne et l’URSS du goulag. Un périple haletant, comme le souffle de ce « trompettiste de Staline », librement inspiré de la figure légendaire d’Eddy Rosner, musicien juif allemand au destin tragique.
Jack Linhardt, grand reporter parisien né dans une famille d’ouvriers communistes français, reçoit une lettre d’un avocat new-yorkais l’enjoignant de se rendre à New-York de toute urgence pour y rencontrer un vieil oncle à l’agonie. De ce point de départ, Patrick Anidjar, conteur né, retrace le parcours des Grynberg, une famille juive originaire d’Odessa, et de leur fils, Izzy, génial trompettiste dont la vie va basculer des feux de la rampe d’Harlem et Paris, au goulag sibérien.
Le trompettiste de Staline mêle avec brio grande et petite histoire. Celle de ces juifs russes ayant fui les pogroms et la Révolution en trouvant refuge à Paris, comme celle des musiciens noirs américains qui trouvèrent du côté de Montmartre un espace de liberté, hors de toute ségrégation raciale. Patrick Anidjar fait la part belle au monde du jazz avec érudition, rappelant au passage et avec pertinence les liens étroits qui unirent juifs et noirs américains, tant sur scène que dans le mouvement des droits civiques, évoquant notamment l’histoire de Louis Armstrong, recueilli enfant par une famille juive qui lui offrit sa première trompette, ou celle du producteur Norman Granz, qui n’hésitait pas à casser la figure des chauffeurs de taxi new-yorkais refusant de prendre des musiciens noirs à la sortie des clubs. Avec le personnage d’Izzy Grynberg, inspiré du trompettiste Eddy Rosner, l’auteur nous plonge au coeur des purges staliniennes, dans toute leur horreur et leur absurdité.
À l’instar d’Eddy Rosner, trompettiste juif allemand surnommé par Satchmo en personne l’ «Armstrong blanc», qui fuira la montée du nazisme avec peu de prescience pour… la Pologne, avant de débarquer à Moscou, adulé par un Staline que l’on découvre fin mélomane dans le roman, Izzy Grynberg est finalement déporté dans un goulag. Guerre froide oblige, le jazz est passé de « musique révolutionnaire » et outil de propagande pour motiver les troupes durant la Seconde guerre mondiale, à une musique « dégénérée, antipatriotique, bourgeoise et cosmopolite ». Ce sujet rarement abordé de l’histoire du stalinisme constitue assurément l’un des temps forts du roman de Patrick Anidjar, qui se dévore comme un polar, tenant le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page. Le trompettiste de Staline joue à merveille sur plusieurs registres, sans aucune fausse note.
Alain Granat
Le trompettiste de Staline, de Patrick Anidjar (Plon), 17,90€
L’histoire d’Eddy Rosner a fait l’objet d’un documentaire de Pierre-Henry Salfati, « Le jazzman du goulag » (1999)
Découvrir un reportage en langue russe consacré à Eddy Rosner
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© photos : Plon, DR (photo d’Eddy Rosner et son orchestre, à son retour du goulag, 1954)
Article publié le 12 mars 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop