“C’est l’histoire d’une jeune fille qui aime son papa”
Le distributeur Michel Z. nous avait prévenu, croisé au dans un restaurant une heure avant la projection. Il nous a dit : «Hum, vous auriez mieux fait de prendre une salade, vous allez voir, il faut avoir l’estomac bien accroché».
Ce fût une critique assez difficile à écrire, j’ai dû beaucoup boire pour être sûr de pouvoir m’endormir. Effectivement, ce film est une véritable expérience de cinéma. Après avoir exploré la relation mère-fille dans «Mon trésor», où l’héroïne se prostituait faute de n’avoir pu empêcher sa mère de le faire, Keren Yedaya explore ici la relation père-fille, à travers cette relation passionnelle, dévastatrice et incestueuse. Vous vous en doutez, cette réalisatrice a une vision très claire de la famille comme vecteur d’épanouissement.
Tami (diminutif de Tamar) se brosse les dents, vomit, nettoie, mange, couche avec son père, s’enfuit, devient jalouse, se scarifie, puis elle recommence sans cesse. La réalisatrice débute ce film la où elle avait laissé «Mon trésor» . Dans «Loin de mon père», il ne s’agit plus de raconter le développement d’une pathologie, celle-ci est dès le départ présente. Yedaya filme une relation incestueuse installée dans le quotidien. Le film commence par un plan de Tami qui se lave les dents, geste routinier s’il en est.
Il serait trop facile de lire ce long-métrage comme l’histoire de deux esprits malades et âmes perdues qui s’abîment dans l’inceste. Ce film traite des rapports familiaux et l’inceste est un élément structurel de ces rapports, puisqu’il agit sur nous en tant qu’interdit fondamental et structurant. Dans Le Guide des Egarés, Maïmonide donne une raison à l’interdiction de l’inceste.
“Pourquoi il faudrait une raison ? C’est interdit parce que c’est dégueulasse c’est tout”
J’aimerais beaucoup vous citer du texte mais je n’ai pas pris mon guide, et d’ailleurs je m’égare.Mais la raison qu’il donne combinée à mon interprétation circonstancielle est que de proches parents étant à la fois proches et parents sont indissociables, et que l’inceste est donc irréversible et perpétuel, car la proximité les entraînera à nouveau dans cette voie. J’ajouterai que pour pouvoir être ensemble, il faut pouvoir se séparer. Un père et une fille qui s’aiment ne peuvent se séparer. Ce film montre donc exactement la dangerosité de l’inceste à travers ce personnage du père, qui est à la fois un vrai papa, qui console qui flatte, qui s’inquiète et qui rassure, mais aussi un bourreau qui bat sa fille quand elle veut l’aimer, la rejette quand il se lasse et la trompe. C’est aussi un homme qui aime sa fille et est aimée d’elle. Leur amour physique et leur amour filial est indissociable.
Il serait facile de parler de bourreau et de victime et de balancer le « syndrome de Stockholm » pour justifier les positions. L’ensemble du film joue l’ambiguïté de ce consentement, à travers la chorégraphie des corps et de l’image signée par Laurent Brunet (selon moi le meilleur, et de loin) Lors de la première scène d’amour, il est impossible de savoir si elle le repousse ou l’enlace. Dans une scène de tournante avec des jeunes sur la plage de Tel Aviv un jour de Pessah (libération du peuple juif d’Egypte) on voit la culotte remonter puis redescendre, puis descendre définitivement. Tami est détruite, elle ne sait plus manger, ne sait plus baiser. Elle veut faire l’amour, avec son père comme avec l’un des jeunes sur la plage, mais ne sait pas donner de limites, ni à son père quand il la bat ou décide de l’enculer à sec , ni à ce jeune quand ses potes ont envie de passer juste derrière lui.
Elle n’a plus de limites car limiter ça serait cesser d’aimer son père, sa seule alternative est de le haïr. mais elle n’y arrive jamais complètement. Je vous aurais bien raconté la fin mais ça ne se fait pas. bon allez si.
ALERTE SPOILER
Ce qui la sauve c’est qu’elle tombe enceinte, son père lui dit qu’il vont pouvoir avoir enfin une vie normale, comme les autres. C’est là qu’elle comprend qu’il faut s’enfuir et pour de bon, sauvée par un ange qui l’accompagne avorter pour l’emmener vers une nouvelle naissance.
Jeremy Sahel
Jeremy Sahel est réalisateur, producteur et fondateur du site CinéMatraque.
Article paru sur le site Cinématraque, publié avec l’aimable autorisation de son auteur.
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Article publié le 18 mars 2014.Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop