La recette du jour est tellement facile que vous aurez du mal à croire la quantité de stress qu’elle a générée. C’est bien simple, les trois mois dont j’ai eu besoin pour parvenir à la faire ont probablement réduit mon espérance de vie de cinq ans. Apprêtez-vous donc à vivre une espèce de quête initiatique digne de celle du Capitaine Achab, dont les revirements spectaculaires mèneront à une issue imprévisible, et où, en guise de baleine, on préfèrera plutôt du cabillaud, ce qui rend la prod nettement plus abordable en cas d’adaptation cinématographique. Ajoutez à ça que le résultat dans l’assiette n’est qu’une émulsion de gras et de sel, et on sera tenté de penser qu’entre mon pic de cortisol et votre hypertension, nous mourrons sans doute prématurément tous ensemble d’ici peu.
Sur ces paroles pleines d’espoir, je vous propose aujourd’hui : le tarama.
Je ne m’étendrai pas sur la myriade de recettes farfelues qui font entrer dans sa composition de la mie de pain, du lait ou de la crème, elles ne méritent que mépris. Le tarama, le vrai, a 4 ingrédients, et 4 seulement : des œufs de cabillaud, du jus de citron, de l’huile d’arachide et un burn out. Voici comment le préparer.
– Passez votre été à chercher des œufs de cabillaud dans des endroits insolites. Étonnamment, la côte belge, lieu de pêche mondialement réputé, en est un. Aux prémices de votre quête du Graal, n’oubliez pas d’avoir une discussion surréaliste avec un poissonnier flamand qui vous expliquera sur un ton d’une condescendance inouïe qu’il a l’habitude de jeter cette partie du poisson et que, petit tuyau en passant, pour le poisson on dit les arêtes et pas les os. Gardez-vous de lui hurler au visage « Pas les OS, dumkopf, les OEUFS ! ».
– Essuyez patiemment une demi douzaine de refus pour des motifs aussi abscons que « c’est pas la saison »/ « je ne sais pas ce que c’est »/ « je les fais venir de la ville mais pas en ce moment », maudissez les Belges, noyez votre chagrin dans l’huile de friture, et passez temporairement à autre chose.
– Profitez d’un passage à Paris pour en commander à la poissonnerie Daguerre. Chopez-les ric-rac en arrivant le samedi soir, trois minutes avant la fermeture, en vous fendant d’un petit sprint qui vous vaudra une remarque – justifiée – de votre belle-sœur quant à votre parfum à votre arrivée chez elle. N’en ayez cure et mettez tout sur le dos du caractère affectueux du poissonnier.
– Repartez le lendemain, votre poche d’œufs rangée dans un sachet, lui-même emballé dans un gel pack glacé offert la veille par le marin câlin en prévision du voyage en train, le tout placé au fond de votre sac – pour un poids ridiculement anecdotique de deux kilos- dans un ziplock prétendument ultra étanche et résistant. Sautez dans le train in extremis, littéralement une minute avant son départ, au terme d’un slalom humain dans les couloirs entre La Chapelle et la Gare du nord, et d’une prise en pleine gueule d’un vendeur de chiots robotisés aux mouvements parkinsoniens made in China. Maudissez-les tous ; les gens, les couloirs, le vendeur, les chiens à piles, et affalez-vous dans un fauteuil pour 1h25 en comprenant pourquoi, tentant de retenir vos poumons de vouloir sortir par vos oreilles, vous n’avez jamais fait carrière dans l’athlétisme.
– Rentrez chez vous. Réunissez les ingrédients : +/- 150g d’œufs de cabillaud fumés, 2 citrons, huile d’arachide. Rendez-vous compte en sortant les œufs de poisson que le ziplock a fui, le gel pack a fondu, et que l’intégralité du contenu de votre sac baigne dans un jus sentant le ressac et le fond de cale. À cet instant précis, remémorez-vous que votre robot-mixeur, indispensable au bon déroulement du programme, a rendu l’âme un mois auparavant. Retenez-vous de contacter Monsieur Wawa, grand voyant medium dons hérités de père en fils contre tous mauvais sorts et malchance. À la place, lancez une machine à 90°, et appelez votre voisine à la rescousse en lui demandant de vous prêter un engin qu’elle exhumera d’un placard, où il végète, neuf, depuis 5767.
– Retirez les œufs de leurs divers emballages et enveloppe protectrice. Mixez-les avec le jus des deux citrons. Versez le mélange dans un saladier et préparez votre fouet électrique. Versez progressivement l’huile d’arachide dans le saladier tout en actionnant votre fouet. Pensez avec délectation à Maïté préparant une mayonnaise tellement ferme qu’elle colle aux parois du saladier retourné. Constatez avec désolation que votre fouet possède la même puissance électrique que les robots-chiens du métro. Commencez à engueuler tous vos proches présents. Cassez deux-trois trucs pour vous détendre. Faites balayer les débris par un très proche, acquis à votre cause et sensible à votre investissement démesuré en cuisine (un mari fera très bien l’affaire). Ne cessez pas de fouetter (la mayonnaise de la mer, pas le mari).
– Au bout d’un quart d’heure, prêt(e) à jeter l’éponge face à si peu de progrès, reprenez enfin espoir en apercevant les premiers signes d’onctuosité dans votre magma rose. Criez victoire et placez le tarama au frigo jusqu’à l’arrivée de vos invités.
– Passez une délicieuse soirée, régalez-vous avec vos amis de ce dîner de Rosh HaShana vraiment réussi, de l’apéritif de mezze au dessert de crumble aux pommes. Souhaitez-vous mutuellement une dernière fois Shana Tova sur le pas de la porte, et une fois tout le monde parti, terminez de ranger.
– Rassemblez tous les éléments du robot de votre voisine pour le lui rendre le lendemain. Arrêtez-vous d’un coup, sentez vos yeux s’emplir d’une bruine faite de fatigue et de rage en vous rendant soudainement compte que vous avez tout bonnement oublié le tarama dans le frigo et ne l’avez jamais servi.
– Le lendemain soir, laissez votre douce moitié vous couvrir de blinis et de saumon fumé pour vous remercier de ce merveilleux acte manqué. Il reste de la vodka ?
Noémi Garfinkel
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© photo : Noémi Garfinkel / DR
Article publié le 9 octobre 2016. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2016 Jewpop