«Nous voulons de la vie au théâtre, et du théâtre dans la vie»
(Journal de Jules Renard)
Par son lever de rideau qui dévoile le mystère d’une scène aux yeux des spectateurs, comme le mystère du mariage dévoile une mariée, le Théâtre peut revêtir les atours du lieu et de l’objet de la révélation : révélation minuscule, celle d’une action régie par l’art dramatique, ou Révélation majuscule, celle d’une action régie par le métaphysique, une action à même de séparer son espace-temps propre, une action sacrée. Et autant que le terme « révélation », le mot « Théâtre » avance, ambigu ; fondamentalement métonymique, en lui se lovent contigus un lieu et un Art.
Reste-t-il alors la simple imitation de la Révélation, celle qui naît de la mimesis et mourrait à cause d’elle – au point que Platon désirait chasser les artistes de sa cité idéale, parce que dangereux illusionnistes – une Révélation bouffonne, ou bien sa nature est-elle à même, sinon de Révéler directement, d’exprimer quelque chose de la Révélation ? Dans «Théâtre et sacré dans la tradition juive» paru aux Presses Universitaires de France, Guila Clara Kessous tente de résoudre ce périlleux questionnement.
Un mot sur l’auteure : Guila Clara Kessous est comédienne, metteur en scène, enseignante et chercheuse. Chevalier des Arts et des Lettres, elle a reçu le prix de l’artiste 2012 de l’UNESCO. Son essai ambitieux nous fait partager la conception du théâtre qu’ont les penseurs juifs, de l’époque talmudique à l’époque contemporaine. En plus d’une certaine histoire du théâtre, c’est en filigrane toute l’histoire théâtrale qui est convoquée. C’est aussi une pertinente illustration de l’appropriation par la pensée juive d’un fait culturel qui lui semble à l’origine étranger.
Plus récit que réflexion, la dynamique du texte repose sur l’interprétation d’une prophétie de Zacharie par le Talmud de Jérusalem. Dans le futur, les théâtres seront utilisés pour enseigner la Torah en public. Dès lors, l’un des sens de l’Histoire supposerait une métamorphose du théâtre le ramenant à son objet le plus sacré – la Révélation – et aboutissant à la modification de sa considération par la pensée juive ou modification de celle-ci.
La question du messianisme, dans ce qu’il est l’aboutissement d’un Tiqûn Olam / réparation du monde, traverse donc indéniablement l’essai de Guila Clara Kessous. La chronique théâtrale, passionnante car décrite avec passion, devient chronique du destin cosmique, et le Théâtre, lieu de l’accomplissement. Outre la découverte de dramaturges juifs méconnus (parfois ultra-orthodoxes, voire mystiques !), l’intérêt de ce texte réside dans les brillantes résonances qu’il met en lumière entre la singularité de la pensée juive, «l’Autre» de la métaphysique occidentale, et la conception du sacré dans le théâtre chez Antonin Artaud. Ce dernier passage aurait d’ailleurs mérité un essai à lui tout seul tant il montre de perspectives.
Néanmoins, il est à noter que certaines interprétations talmudiques de Guila Clara Kessous pour soutenir sa thèse sont partiellement erronées. Jouant sur la polysémie des mots, de phrase en phrase, elle sautille de sens en sens par maintenir à flots sa démonstration. Celle-ci devient plus un jeu artistique que logique, et si elle ne manque pas de plaire, elle n’atteint pas totalement son objectif par manque de rigueur.
Toutefois, malgré des prémisses légèrement défaillantes, le discours montre la possibilité d’un théâtre éthique, la réconciliation entre poesis et praxis, c’est-à-dire l’espoir secret que le Beau et le Bien fassent Un.
Jonathan Aleksandrowicz.