Faut-il avoir peur de l’Islam en France ? Voici un sous-titre ou un exergue qui aurait très bien pu figurer en bandeau de l’ouvrage d’Élisabeth Schemla, si l’auteure avait voulu choisir un intitulé aussi sombre que son bilan du paysage social et politique de la communauté musulmane française. C’est néanmoins une réalité préoccupante qu’elle dépeint dans « Islam, l’épreuve française » (Plon Tribune libre, 2013), avec ses images fortes, ses clivages et un avenir incertain. Entre la gauche paternaliste et ses beurs puis la droite réactionnaire et ses maghrébins, une nouvelle génération aux allures de grenade dégoupillée doit obliger à une réflexion sereine et des actions urgentes. Soutenant la thèse d’une faiblesse de notre État face aux assauts de ses minorités qui veulent dominer, Élisabeth Schemla dresse un portrait sans nuance des lâchetés et ambigüités d’une France à la recherche d’un nouveau modèle, dès lors que l’idéal républicain et sa communauté musulmane sont entrés en guerre froide.
L’année 1989, et plus rien ne sera comme avant, Annus horribilis
Élisabeth Schemla construit l’analyse intéressante d’une fracture de la société qui commence. Un antagonisme sociétal que personne n’a vu venir. D’un côté, les pouvoirs publics organisent les festivités du bicentenaire de la révolution française et, de l’autre, trois collégiennes de Creil décident soudainement de venir en cours avec un hidjab. L’effet du foulard sur le frontispice de la laïcité est sans précédent, «son entrée sur la scène française est apocalyptique». Entre les débats sans fin sur l’exclusion et/ou le prosélytisme, rien ne sera plus comme avant. La classe politique, les médias et le pouvoir judiciaire viennent s’embourber sur la question de l’Islam à l’école, donc dans la société. Une alerte que personne ne soupçonne. L’auteur détaille à l’envi les prémices de la construction d’un islam identitaire où les revendications vont devenir légion et embraser l’hexagone. Un tableau peu réjouissant et lourd d’angoisses à la française. Avant-hier, le foulard, hier Ben Laden et demain ? Le modèle républicain s’est grippé et le pouvoir régulateur du politique s’est effondré entre les démons de son inconscient collectif, ses peurs et ses idéologies.
Le vingtième siècle allait sereinement mourir de son agnosticisme quand les revendications se sont faites plus insistantes
L’islam des minarets veut se substituer à celui des caves et des prières de rue. Élisabeth Schemla soutient la thèse d’une «génération Islam» engagée pour faire voler en éclat les théories de Jules Ferry et la grande loi de 1905, érigée pour séparer les églises de l’État. Entre «ces jeunes qui ont la rage» et la grande majorité de ses imams issus des terres salafistes ou wahabites, l’idéologie est venue répondre avec hargne aux us et coutumes de la France. C’est la construction d’un islam identitaire qui «s’affronte à la culture laïco-chrétienne de la France» estime l’auteur, qui en déduit, dans un récit tranché et abrupt, à la survenance d’un «islam d’opposition», postulat intéressant qui pêche toutefois par le choix assez discutable de raccourcis historiques ou sociologiques. On pourra, dans la même veine, regretter que le spectre du salafisme et du Tabligh, certes très présent dans certaines banlieues, tienne un poids démesuré dans l’essai d’Élisabeth Schemla, au détriment d’autres mouvances, plus prosaïques et bien loin des velléités liberticides.
La «réislamisation de la population maghrébine» est la problématique centrale de l’ouvrage
L’auteur analyse avec justesse les échecs cuisants du Conseil Français du Culte Musulman, déchiré entre dissensions externes et pressions de l’extérieur, qui laissent la voie libre à tous les fanatismes et toutes les dérives. Les institutions ont échoué là où la classe politique a perdu au «bal des hypocrites», comme ont pu en témoigner les débats d’idées et les déchirements sur la loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Déroulement fatal et ironie du sort, si l’Islam peut parfaitement être soluble dans la démocratie, la tentation totalitaire est une tension permanente que personne ne parvient à contrôler. L’intégrisme couve et toutes les réponses sont mauvaises, l’affaire de la crèche privée Baby-Loup est encore un épisode édifiant et lourd de conséquences. Anxiété sempiternelle et schizophrénie de la tolérance. Heureusement, on appréciera, après un déluge de récriminations de tous côtés, que l’auteur ait donné autant de lettres de noblesse à certains imams et penseurs de la paix et du rapprochement entre les religions tels Hocine Mahdjoub, Hassen Chalgoumi ou Tareq Oubrou, brillants théologiens auto-proclamés hommes du dialogue, appelés à «sauver l’Islam de ses musulmans».
Mohamed Merah devenu le héros franco-algérien d’un massacre inouï et c’est un cauchemar qui commence
Troisième volet d’une acculturation qui a échoué, la pensée totalitaire d’un islamisme sophistiqué gagne les cœurs et les esprits. Islam YouTube, islam Tarik Ramadan, islam vindicatif, quand le revendicatif est dépassé. Le discours arabe citoyen est aussi possible qu’on le (re)cherche, enseveli sous les braises qui, selon l’essayiste, «s’embraseront inexorablement si l’on continue ainsi». Le compte à rebours de «l’imperceptible descente en complicité totalitaire» a-t-il réellement démarré ? L’auteur a choisi de contester les complaisances et rejoue presque le choc des civilisations de Samuel Huntington sur fond de complaisances blâmables, de cynisme ou d’incohérences qu’elle stigmatise avec force d’illustrations saisissantes. Il est urgent d’agir car personne n’a jusque là réagi. Nul n’est obligé de suivre ou de renchérir sur la tentation alarmiste et bien des généralités faciles, mais il y a une réalité qui doit mobiliser : si la démocratie n’a pas failli, bien au contraire, ses failles sont néanmoins ouvertes.
Jérémie Boulay
NDLR : Jérémie Boulay est avocat, sa recension de l’ouvrage d’Élisabeth Schemla a été publiée sur Jewpop en octobre 2013. Il défend l’épouse de Philippe Braham, l’une des quatre victimes de l’attentat antisémite contre l’Hypercasher
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© visuel : Plon
Article publié le 27 octobre 2013. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop