Alors que le professeur Didier Raoult s’alarme d’une surreprésentation du taux de contamination au COVID-19 dans la communauté juive, que la majorité des médecins en première ligne, tel le professeur Rémi Salomon, insistent sur la nécessité absolue du confinement, le Consistoire a annoncé dans un courrier officiel daté du 23 mars la réouverture de certains mikvé (bains rituels) pour les femmes, selon des conditions validées à sa demande par le Conseil scientifique et par “plusieurs autorités médicales”.
Ce courrier¹ émanant du grand rabbin de France Haïm Korsia, du grand rabbin de Paris Michel Gugenheim et du “dayan” (juge d’un tribunal rabbinique) Benyamin Chelly, stipule ainsi que sous certaines conditions de santé, d’hygiène et de précautions, l’accès au mikvé dans certaines régions moins impactées par la pandémie est désormais autorisé.
La première “condition stricte” édictée dans ce document largement partagé sur les réseaux sociaux est la suivante : “Seules les femmes en bonne santé, sans aucune suspicion de contamination et n’ayant dans leur environnement aucun malade pourront aller au mikvé”. Nos rabbins et les médecins qui les ont conseillé – dont les noms n’ont pas été rendus publics – ont tout simplement balayé d’un revers de manche le problème posé par les “porteurs sains”, majoritaires dans la population. Au risque de voir le virus se propager si certaines femmes juives religieuses n’en présentent pas les symptômes, mais sont contaminées.
Cette première “condition stricte” invalide à elle seule la suite du protocole, qui énonce des mesures de gestes barrière et d’hygiène censées protéger les femmes qui souhaiteraient se rendre au mikvé, malgré les recommandations du gouvernement et des personnels soignants de ne sortir de chez soi que pour des raisons prioritaires et de première nécessité.
Faire ses courses présente déjà un danger, comme le martèle le professeur Rémi Salomon pour tenter de faire comprendre qu’il faut absolument limiter ses sorties. Le Consistoire et ses “autorités médicales” ont donc jugé opportun de rajouter, avec cette dérogation, un risque supplémentaire.
Des mikvé sont désormais accessibles à Paris, l’une des zones les plus touchées par le COVID-19. Certain(e)s s’en réjouissent déjà, avec inconscience, et partagent l’information sur les réseaux sociaux pour inciter le plus possible de femmes juives religieuses non “casher” à se rendre au mikvé, au mépris de toutes les recommandations sanitaires des médecins hospitaliers et de ville, débordés par les cas de contamination.
Le document mentionne par ailleurs le port du masque obligatoire, à la fois côté usagère et côté personnel du mikvé (“balanit”), alors même que les personnels soignants en manquent cruellement.
Disons le clairement, cette décision de réouverture de certains mikvé est irresponsable et relève de la mise en danger la vie d’autrui.
Une décision irresponsable de la part d’un grand rabbin de France qui voilà peu rappelait ce verset d’Isaïe «Va mon peuple, entre dans tes appartements et ferme tes portes derrière toi ! Cache-toi pour un petit moment, jusqu’à ce que la colère soit passée ». Une décision dangereuse de la part du Consistoire et de ses plus hauts représentants, pour qui la “pureté” des “entrailles” des femmes juives religieuses vaut bien une possible contamination, celle de leurs proches, et plus largement de l’ensemble de nos concitoyens, tandis que certains évoquent pour justifier cette dérogation les difficultés des couples religieux confinés, en particulier leur vie sexuelle qui serait perturbée par l’absence de Mikvé.
Le Consistoire de Marseille est sur la même ligne, ainsi qu’en témoigne ce courrier officiel en date du 24 mars signé du grand rabbin de Marseille Réouven Ohana, qui prône également l’ouverture de mikvé selon des “mesures strictes édictées par le grand rabbin, sur avis d’autorités médicales compétentes”.
En cette période où le complotisme sévit de plus belle, quel message le grand rabbin de France entend-t’il envoyer à la nation via une telle dérogation ? D’un point de vue légal, comment la préfecture justifie-t-elle ce type de sortie, à notifier dans son autorisation de déplacement dérogatoire, signée sur l’honneur ?
D’ici quelques jours selon Martin Hirsch, les hôpitaux parisiens, comme d’autres dans les régions les plus touchées, ne seront plus en mesure de recevoir les patients atteints du Coronavirus. Mais dieu merci, des mikvé resteront toujours ouverts, le Consistoire tient ferme la barre. Quitte à prendre l’eau.
Sharon Boutboul et l’ensemble de la rédaction de Jewpop
¹Le document que nous publions ne comporte pas de signatures manuscrites. Nous avons tenté de joindre le Consistoire depuis hier pour faire confirmer son authenticité, en vain, mais avons eu via plusieurs sources, dont un administrateur du Consistoire de Paris, confirmation de l’authenticité de ce document et de sa transmission par courriel à des responsables communautaires.
²Le grand rabbin de France a publié un communiqué à 17h annonçant finalement la fermeture des mikvé sur tout le territoire.
© photos : mikvé du musée juif de Trondheim en Norvège / Jewpop / DR
Article publié le 26 mars 2020. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop
J’adore vos articles et votre écriture en général, je la trouve fraiche et légère.
Mais dans un cas comme celui-ci ou il s’agit la de questions hala’hique difficile et complexe, je trouve que ce serai une erreur de la réduire a une decisions arriéré et misogyne. Ce choix résulte sans doute d’une reflexion plus profonde que simplement politique.
???
Non définitivement cela fait du bien t’entendre ce genre d’opinion. Merci à vous Jewpop de rappeler quelques principes de solidarité républicains, parfaitement soluble dans un judaïsme éclairé (https://jewpop.com/opinions/halakha-respect-torah-ou-mise-en-danger-vie-dautrui/)
Je suis moi aussi un lecteur et fan assidu de vos articles, mais je vais aussi marquer mon désaccord.
Je suis chomer chabat et nous respectons avec ma femme la pureté familiale, qui fait bondir certains des lecteurs.
Tout d’abord, je pense que ça génère bcp de fantasmes de la part des juifs non-religieux et tradis.
On parle à notre place (un peu comme pour les femmes musulmanes voilées). Pourquoi ne pas nous poser des questions directement à nous autres pratiquants/religieux ? nous sommes bien plus ouverts qu’on ne le pense, et je ne pense pas être une exception. De plus, dites vous que les femmes sont bien plus exigentes sur cette notion que nous autres, les hommes. Les femmes juives religieuses n’y vont pas avec la boule au ventre, personne ne les force.
Concernant cette histoire des mikvés ouverts, dites vous que plusieurs couples que je fréquente ont pris la décision de ne pas y aller. Les mesures prises étaient antérieures au discours du Président Macron. Ca a été anticipé, mais pas arreté à temps.