Photo de Georges Kiejman en robe d'avocat Jewpop

La dernière révérence de Georges Kiejman

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Georges Kiejman a survécu à la Shoah. Il s’en est excusé. Dans le livre d’or du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, où son père fut assassiné à la descente du train, en 1943, il a d’abord écrit « Pardon » puis ajouté « … d’avoir survécu ». L’ancien ministre qui fut l’avocat de deux présidents de la république, fait la distinction entre deux catégories de juifs « non pas trivialement les ashkénazes et les séfarades », mais les fils de survivants et ceux aux « racines tranchées ». À « presque 87 ans », il signe avec Richard Malka, héritier et avocat de Charlie Hebdo, un Éloge de l’irrévérence, publié chez Grasset.

“Parfois, je regardais une étoile filante et je me disais mon père va revenir”

Comme Robert Badinter, Kiejman a souffert de ne pas vouloir juger hâtivement René Bousquet et François Mitterrand. Comme Raymond Aron, il ne souhaitait pas réveiller les fantômes du passé. Comme Robert Aron (ou Eric Zemmour aujourd’hui), il préfère comme toute sa génération que la France ait sauvé des juifs. « Le choix se posait sans cesse dans les affections. Parfois, je regardais une étoile filante et je me disais mon père va revenir, puis cinq minutes après je me reprenais, mais pourquoi mon père ? Et ma sœur, ce n’est pas important qu’elle revienne ? » Le père du pianiste de jazz René Urtreger, qui enregistra aux côtés de Miles Davis la musique du film de Louis Malle Ascenseur pour l’échafaud, épousa cette sœur rescapée des camps. Quand on lui demande de jouer pour les morts, il marque une pause car « la brûlure est trop profonde, ce serait du show business ».

Photo de René Utreger et Georges Kiejman en 1952 Jewpop

René Urtreger (cousin de Georges Kiejman), Georges Kiejman, Bernard Lenteric et Claude Berri, en 1952

En juillet 1944, 36 juifs alsaciens et lorrains, de 16 à 85 ans, furent jetés vivants dans les puits de Guerry de la ville de Savigny-en-Septaine, puis ensevelis sous des pierres. L’avocat se souvient de ces représailles de la Gestapo de Bourges à un « excès de zèle » des maquisards, selon l’historien Tzvetan Todorov. Ils avaient enlevé la femme d’un dirigeant de la milice et pendu des miliciens. Les alliés avaient débarqué, et un camarade de classe de Georges Kiejman fut précipité vivant dans un de ces puits.

Au collège de Saint-Amand Montrond, le village voisin, le petit Georges se souvient d’avoir été la vedette du terrain de basket. « Mes camarades devaient bien se douter que j’étais juif », dit-il. Il se souvient de l’élève Godechaux, nom typiquement juif alsacien, qui lui mettait ponctuellement sa raclée, conséquence de l’importation du conflit (judéo-)alsaco-polonais dans les cours de récréation du Cher.

De Paoli à Papon

Maurice Papon deviendra, en 1971, maire de Saint Amand-Montrond et le crime de la Gestapo de Bourges, où sévit le collaborateur corse Pierre Paoli, et qui comptait en son sein un français d’origine hongroise, Pierre de Varga, largement occulté. Varga dit « Fisher », sera blanchi intégralement par les chefs du réseau résistant Marco Polo, qui confirmeront son rôle de résistant infiltré, puis innocenté une seconde fois d’avoir commandité l’assassinat du ministre Jean de Broglie, trésorier du parti de Valéry Giscard d’Estaing (Républicains Indépendants). Georges Kiejman épousera la nièce du prince assassiné au pied de son immeuble rue des Dardanelles, en 3èmes noces.

Photo de georges Kiejman avocat de Pierre Goldman Jewpop

Georges Kiejman, avocat de Pierre Goldman en 1974

Retenir les passages à l’acte de la jeunesse étouffée est un leitmotiv qui le hante. Des réalisateurs de la nouvelle vague (Truffaut, Godard…) aux situationnistes (Debord, Lebovici…), des idéalistes (Goldman, Kiki Picasso…) aux martyrs (Oussekine, Marie Trintignant, Charlie Hebdo…), entre le droit au blasphème et la liberté d’importuner, il choisit ses élégances et propose au crépuscule de sa vie l’éloge de l’irrévérence.

Cette complicité de crime contre l’humanité, il en a parlé mais s’est étonné qu’elle reste largement méconnue. On demanda à Georges Jeanclos, sculpteur des portails en bronze de Bercy et de la cathédrale Notre dame de Lille, de construire un monument commémoratif, hommage sublimé et silencieux aux victimes des puits de Guerry. L’indiscrétion de certaines révérences paraissait encore parfois trop irrévérencieuse.

Alexandre Gilbert

Voir l’entretien de Georges Kiejman donné à la Fondation pour la mémoire de la Shoah sur le site de l’INA

Commander Un éloge de l’irrévérence de Georges Kiejman et Richard Malka (Grasset) sur le site Librairies indépendantes (15,90€)

© photos : DR

Article publié le 7 avril 2019. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop

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