Maya Casabianca Jewpop

Maya la belle

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Maya Casabianca, disparue le 31 décembre 2018 à l’âge de 78 ans à Haïfa, fut lancée sur les scènes de France au début des années 60 comme une “ nouvelle Dalida ”. Née à Casablanca dans une famille juive, Margalit Azran fut aussi adulée au Liban et en Syrie, avant de tomber dans un relatif anonymat en Israël, se réfugiant dans les souvenirs de son histoire d’amour passionnée avec la star syro-égyptienne Farid el-Atrache.

Maya Casabianca et Farid el-Atrache Jewpop

L’histoire de Maya Casabianca ferait l’objet d’un superbe biopic, mêlant chanson, glamour, histoire d’amour contrariée et course-poursuite à Damas avec des agents secrets syriens. Son destin exceptionnel la mènera de Casablanca en Israël, comme des milliers de juifs marocains obligés de quitter leur pays après la création de l’État juif, puis à Paris, jusqu’à la scène de l’Olympia. En passant par Beyrouth, où elle vivra ses plus belles années, amoureuse de Farid el-Atrache, avant de revenir en Israël.

Margot Elmakayis Azran a 8 ans lorsque sa famille quitte Casablanca. Tandis que ses parents s’installent à Paris, où son père est organisateur de concerts, la petite fille rejoint Israël avec sa tante, en 1948, et vit à Haifa. 6 années plus tard, elle retrouve ses parents dans la capitale, où l’adolescente débute sa carrière de chanteuse. Elle a 15 ans lorsque son père la fait monter sur scène en attraction d’un concert. Jacques Canetti, qui dirige alors le label Philips, est dans la salle et lui propose immédiatement un contrat d’enregistrement. Selon la légende, c’est Yves Montand, dont elle fait la première partie à L’Olympia, qui lui trouvera son nom d’artiste, Maya Casabianca, en référence à sa ville natale.

La carrière de Maya Casabianca va réellement décoller en 1960. Philips voit alors en elle la concurrente potentielle de Dalida, embrassant comme la chanteuse originaire d’Égypte des styles musicaux allant du yéyé à l’oriental, en passant par un répertoire “typique” de chansons latines ou des reprises de tubes venus des USA. Comme Dalida, elle chante aussi bien en italien, espagnol, qu’en arabe et même en… turc. En octobre 1960, Philips lui organise un concert-showcase où sont invités de nombreuses personnalités, parmi lesquelles la star de la musique arabe et du cinéma égyptien Farid el-Atrache. Maya, comme la plupart des jeunes femmes d’alors originaires du Maghreb, est l’une de ses fans. Rappelant que lorsqu’elle était ado, elle “usait ses disques, chantant à tue-tête tout en dansant sur ses plus grands succès, ‘Weyak’, ‘Benady Alek’, ‘Ya Zahra Fi Khayaly’…”

Maya Casabianca Jewpop

Sidérée en apercevant el-Atrache dans le public, elle décide de tout donner ce soir-là pour l’impressionner. Le musicien viendra la saluer dans sa loge après le concert, lui exprimant son admiration et lui souhaitant bonne chance pour la suite de sa carrière. Dans ses mémoires, la chanteuse racontera “Je ne dirai pas que ce fut le coup de foudre, mais mon cœur battait à tout rompre lorsque je vis la star du Moyen-Orient, si élégant, dont j’écoutais religieusement les chansons et que je rêvais de rencontrer, me souhaiter bonne chance. Là, je me suis dit : c’est trop ! C’est Farid-el-Atrache qui m’adoube dans le monde de la musique, et m’apporte un bouquet orné d’une carte De la part de votre admirateur, Farid

Dans son autobiographie publiée en Israël (en hébreu et en arabe) en 2001, Lui et moi, Maya Casabianca racontera sa relation passionnée avec el-Atrache, dont elle fût l’une des nombreuses maîtresses. Elle vivra à ses côtés la vie nocturne luxuriante du Beyrouth des années 60, non sans lui demander à plusieurs reprises de l’épouser. Mais el-Atrache est un célibataire endurci, adulé par les femmes, qui refuse toute concession sur son indépendance. Il composera pour Maya de nombreuses chansons, parmi lesquelles “Ya Gamil, Ya Gamil”, qu’elle enregistrera également en français.

Elle a alors des milliers de fans dans le monde arabe, en particulier en Syrie et au Liban, où ses admirateurs traduisent ses textes du français à l’arabe. Ses concerts font salle comble, comptant parmi le public Fairouz, les frères Rabahni, Sabah, Wadih El Safi, Simon al-Asmar… et les plus grands dirigeants arabes, assis aux premiers rangs des scènes où elle se produit. Tous pensent qu’elle est française de confession catholique, ses producteurs lui ayant demandé de cacher sa judéité et ses liens avec Israël…

Maya Casbianca Jewpop

C’est un concert à Moscou, devant 6000 spectateurs à la fin des années 60, et en présence de Brejnev, qui va révéler ses origines juives. Maya Casabianca, lassée de se dissimuler, décide de chanter devant le public soviétique l’Hatikva, l’hymne national israélien. L’histoire fait rapidement le tour des pays arabes et la chanteuse, revenue entretemps à Damas pour un concert, doit quitter la ville en catastrophe, prévenue que les services secrets syriens sont à ses trousses. Des amis l’aident à traverser clandestinement la frontière syro-libanaise, puis de Beyrouth, où elle reverra pour la dernière fois Farid el-Atrache, elle rejoint Chypre pour finalement débarquer dans le port de Haifa.

En Israël, Maya Casabianca ne craignait plus qu’une chose, perdre son public. Ses craintes allaient s’avérer justifiées… Elle passa la suite de sa carrière à chanter dans des salles confidentielles avec pour seule audience des immigrants Mizrahim, ces juifs venus des pays arabes et du Maghreb, entre quelques rares passages dans des émissions de variété de la télé israélienne dans les années 70.

Celle qui avait enregistré “Adieu, mon pays” d’Enrico Macias se retrouvait à nouveau à Haifa, après avoir connu amour, gloire et beauté… Malgré tout, elle tentera de reconstruire sa vie, nouant une relation avec son agent, avec qui elle eut une fille. L’histoire durera 5 ans, dans l’ombre de Farid el-Atrache, son unique grand amour. Maya Casabianca décèdera à Haifa, dans son petit appartement du quartier de la colonie allemande, rue El Naby, 44 ans après la mort de Farid el-Atrache, disparu le 26 décembre 1974 à Beyrouth.

Maya Casabianca Jewpop

Dans ses mémoires, elle explique que malgré la douleur que lui causa l’annonce de la disparition de Farid el-Atrache, elle décida de ne pas sombrer. Une télé israélienne vint l’interviewer dans son petit salon constellé de souvenirs de ses tournées, de photos de ses amis libanais, et de celles de son grand amour. Elle déclarait avoir été bénie de vivre une telle histoire, assurant que lorsque son “heure serait venue”, les deux amants seraient à nouveau réunis. Farid el-Atrache en aurait à coup sûr fait une extraordinaire chanson.

Alain Granat

© photos et visuels : DR
Article publié le 2 novembre 2020. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop

2 Comments

  1. Article très intéressant. Cependant, ce passage est factuellement faux: « comme des milliers de juifs marocains obligés de quitter leur pays après la création de l’État juif ». Les Juifs marocains, à la différence de ceux d’autres pays, ne furent pas obligés de quitter le pays

    • Bonjour Arnaud, avez-vous entendu parler des pogroms d’Oujda et Jerada qui se produisirent les 7 et 8 juin 1948 à la suite de la création de l’État d’Israël, lors desquels furent massacrés 42 juifs marocains, parmi lesquels 10 femmes et 10 enfants, et qui provoqua dans les mois qui suivirent l’exil forcé de 18 000 juifs marocains, qui craignaient pour leur vie ? Des dizaines de milliers de juifs marocains quittèrent le pays dans les années 50 à leur suite, tandis que le premier gouvernement indépendant marocain prit une mesure leur interdisant l’obtention de passeport. Comme vous dites en jouant sur les mots, “ils ne furent pas obligés de quitter le pays“, c’est ce qu’on appelle une émigration contrainte, sur la base de persécutions.

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