Hipster Tel Aviv

Portraits d'Israéliens : les hipsters de Tel-Aviv

11 minutes de lecture

 

La semaine dernière, j’ai rejoint une amie dans un café, un endroit cool et hipster dans le shouk (marché) à Tel-Aviv. Ce genre d’endroit qu’on adore, à l’ambiance détendue, qui ne désemplit pas du matin au soir. Ce genre d’endroit où il fait bon être jeune et insouciant, en train de « monter sa start-up », phrase codée pour dire qu’on est au chomdu.

 

De nos jours – comme disent les gens qui, ironiquement, n’ont pas vraiment idée de ce qui se passe de nos jours – un endroit cool à Tel-Aviv, c’est un endroit où on est mal assis, le cul de travers sur un cageot en plastique et le verre d’arak limonade en équilibre sur une table bancale, faite en matériaux de récupération divers et variés.

 

Frida Kahlo magnet

 

À l’instar de la décoration murale, du pneu sur le mur en passant par le portrait de Frida Kahlo en capsules de bière, tout est fait pour montrer l’attachement du propriétaire aux valeurs de l’écologie, et son non-attachement aux valeurs du service client.

 

En arrivant, je salue la serveuse qui ne me répond pas bonjour en retour – normal – et je m’assois auprès de ma copine, entre deux tables de hipsters typiquement Tel-Avivi, dont je vais essayer de dresser la typologie. Pour te fondre dans le décor, tu dois posséder obligatoirement au moins trois des éléments suivants :

 

 – Un accessoire produisant de la fumée – le plus souvent une cigarette roulée, un joint pour ceux qui carpe vraiment le diem, une pipe pour les hipsters extrémistes qui DOIVENT se différencier du reste de la société.

– Un chien, adopté après la lecture d’un post émotionnel sur le groupe Facebook Secret Tel-Aviv, qui menaçait la société entière d’avoir son abandon sur la conscience s’ils ne l’adoptaient pas immédiatement.

– Une batterie de vélo électrique (mais pas de casque, attention de ne pas passer pour un mec prudent !).

– Pour les hommes, une chemise hawaïenne défraichie, qui affiche leur goût pour les choses décalées mais en conformité avec l’anticonformisme ambiant (cette phrase m’a donnée mal au crâne), et une barbichette coiffée décoiffée, c’est-à-dire qu’elle aura l’air un peu négligée alors que son propriétaire l’aura bichonnée, savonnée, peignée, coupée et recoupée pour qu’elle arrive au petit chef-d’œuvre qu’elle est.
– Pour les femmes, une coupe de cheveux asymétrique sera d’usage, ou alors un coin du crâne rasé. Pour les plus sages un jean troué, ou plutôt un trou avec du jean autour.
– Enfin, bien sûr, pour les hommes, les femmes, les non-binaires ni masculins ni féminins qui refusent d’être enfermés dans une case, les vieux et les jeunes, le plus important de tous les signes de l’appartenance au groupe des gens les plus cool de la terre, le symbole du YOLO, j’ai nommé le tatouage. Tout tatouage qui n’a aucun sens est accepté. Les formes géométriques minimalistes sont en tête de peloton, tels que les triangles, traits superposés et autres, témoignant d’un nihilisme assumé.
 

Herlz Ben Gourion Hiipsters

 
Avec ma copine, on a commencé à discuter avec le groupe de la table d’à côté, d’abord grâce à leur chien. Je voudrais au passage remercier tous les chiens, qui, sans jamais se plaindre, font universellement office de prétexte pour commencer la conversation sans avoir l’air d’un sans-ami perdu.
 
Ram, avec sa moyenne barbe et son gros tatouage en cercle, nous raconte : « Un matin, je partais en direction de mon bureau sur ma trottinette électrique avec mon chien Edgar dans mon sac à dos, et je me suis rendu compte que ce qui me rendais le plus heureux au monde était Edgar. J’aime Edgar d’un amour infini, il est toujours content de me voir et le voir à mes côtés me remplit de joie. D’ailleurs je lui consacre ma carrière, j’ai lancé ma startup de chiens qui réussit pas mal ».
 

Et de m’expliquer le concept de son produit, que je n’ai pas bien compris, n’ayant pas de chien moi-même. Je pense que ça fait partie de ces situations où on te dit « tu comprendras quand tu auras un chien », l’équivalent pour trentenaires hipsters Tel-Avivi du « tu comprendras quand tu seras grand ».

 

Menahem Begin Hipster

 

Ran, à ne pas confondre avec Ram, reconnaissable grâce à sa grosse barbe et à son moyen tatouage en triangle, est prof de yoga le matin et codeur le soir. Il est aussi bénévole dans une association pour animaux abandonnés, forcément. Il explique que « c’est vraiment pas sympa d’abandonner sa tortue » et d’autres choses avec lesquelles on est tous d’accord parce qu’on est des gens biens.

 

Ran et Ram et leurs amis étaient sympas, on a bien échangé autour de notre chou-fleur rôti écrasé sur une feuille de cuisson au four à 40 shekels (environ 9,40€, plat emblématique du restau/café cool), quand tout à coup la serveuse qui dit pas bonjour a renversé un énorme plat de shakshuka brûlante sur le short de Ran, et que Ran est resté vachement doux et poli, limite à s’excuser d’avoir été assis à la table qui se trouve sur le chemin de la serveuse. Comme si c’était de sa faute que cet endroit soit tout bordélique et qu’il faille avoir un diplôme en arts du cirque pour pouvoir naviguer entre les tables sans repeindre les murs couleurs shakshuka.

 

Golda meir Hipster

 

C’est là que je me suis rendu compte qu’être hipster était plus dur que ce qu’il y paraît, parce que t’as pas le droit de t’énerver et tu dois rester cool en toutes circonstances, sinon ça casserait le mythe, y a des touristes qui viennent de très loin juste pour apprendre à être cool comme eux. Un mec à barbe et skateboard qui s’énerve contre une serveuse, ce serait carrément choquant, déjà que tout le monde sait qu’ils font semblant de travailler toute la journée, quelque part ils doivent le respect à la classe qui travaille pour de vrai.

 

Notre joli groupe s’est séparé après cet incident. Avec ma pote, on s’est promis de ne plus jamais se moquer des hipsters, qui sont un modèle de tolérance et de gentillesse, qui mènent la société vers le progrès, et la bonne entente entre citoyens. Parfois en Israël on se dit qu’il y a trop de tensions entre les laïcs, les religieux, les Juifs, les Arabes, les gens de droite et de gauche, etc. En fait la seule chose qui pourrait potentiellement nous sortir de la guerre civile qui va nous tomber dessus si on continue comme ça, ce serait qu’on prenne tous des cours pour devenir des hipsters. On passerait tellement de temps à discuter de quel nouveau bar sert de la bière bio, des bénéfices du yoga et du sap, et du dernier magazine de musique alternative croate, qu’on penserait même plus à s’engueuler.

 

Gabrielle Danieli

 

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© illustrations : visuel de une : Rachel Lbw Bch / visuels articles : Amit Shimoni, extraits de sa série « Hipstory », dans laquelle il relooke les plus grands leaders politiques mondiaux en hipsters / DR

Le compte Instagram de Rachel Lbw Bch
Le site Hipstory d’Amit Shimoni
© photos : DR
Article publié le 29 juillet 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop

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