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David Nathanson joue "Le Nazi et le Barbier" d'Edgar Hilsenrath

6 minutes de lecture

 
« Un antisémite, c’est comme un cancéreux. À un stade trop avancé, ça ne sert à rien d’opérer. » Edgar Hilsenrath, Le Nazi et le Barbier (Editions Attila).
 
Adapter pour la scène Le Nazi et le Barbier, roman culte d’Edgar Hilsenrath, tient de la gageure. Un pari réussi pour le comédien David Nathanson, qui y incarne avec brio Max Shultz, l’anti-héros dans toute sa splendeur. Un SS assassin de milliers de juifs, qui pour se sauver à la fin de la guerre, usurpe, plus encore que l’identité, la vie de son ami d’enfance Itzig Finkelstein, qu’il a tué dans un camp polonais. Comble de l’ironie, Max Shultz devient par la suite un sioniste fanatique, héros de l’indépendance d’Israël.
 
Résumé ainsi, le livre d’Edgar Hilsenrath pourrait sembler terriblement sinistre à qui ne connaît pas l’univers extraordinairement truculent de l’auteur de Fuck America. Juif allemand, déporté à 15 ans dans un ghetto roumain, Hilsenrath survit puis émigre en Palestine, mais ne s’y acclimatant pas, débarque à New York avant de revenir dans son pays natal dans les années 70. Lorsque Le Nazi et le Barbier paraît en Allemagne en 1979, le livre fait évidemment scandale, avant de connaître ensuite un succès international. Délirant, bouffon, provocateur, irrévérent, mais aussi d’une saleté et d’une crudité absolue, cet épitomé de la Shoah revue sous le prisme de l’humour le plus noir reste en travers de la gorge des lecteurs. Mais l’auteur est un rescapé.
 
Sur la scène de la Manufacture des Abesses, un simple fauteuil de coiffeur, une enseigne en néon, et un portant sur lequel pendent des frusques militaires. Entre en scène David Nathanson, jeune comédien au timbre profond, dont le visage fait penser à un jeune Philippe Clay en moins efflanqué. Il nous plonge dans l’histoire de Max, ce bâtard de pure souche aryenne, « violé à 7 semaines » par un coiffeur priapique doté par la nature d’un vit hors norme. D’entrée, le texte outrancier d’Hilsenrath se met en place, habilement adapté pour un seul comédien, jouant de multiples personnages. On se retient d’éclater de rire, c’est un génocidaire qui nous fait face, qui nous narre sa complicité d’enfant avec ses amis juifs, son apprentissage du yiddish, des prières à la synagogue, avant l’arrivée de la peste brune.
 

Le Nazi et le Barbier David Nathanson JewPop

 
Les yeux de David Nathanson pétillent. Il déclenche l’hilarité du public avec un texte rêvé pour un acteur, telle la scène de la circoncision d’Itzig narrée à Minna, la mère de max : « Ecoute Minna, a dit Hilda l’asperge. Voilà comment ça se passe : un type va venir qu’ils appellent le mohel. Ce type, il a un long couteau avec une lame à double tranchant. Et avec ça il lui coupe la quéquette. Sur quoi il marmonne quelques formules magiques et la bite coupée repousse. Ni trop longue ni trop courte. Pile poil la bonne longueur. Et surtout : plus grosse et plus vigoureuse. C’est pour ça que les juifs ont tant d’enfants ».
 
En arrivant à rendre sympathique ce nazi débile et cruel, David Nathanson bascule encore mieux dans l’effroi, fait peur au public, jouant à fond le registre de la violence glaciale et se délectant des mots d’Hilsenrath. On atteint le paroxysme du délire de l’auteur avec l’imposture ultime. Lorsque Max décide de voler la vie d’Itzig, de partir pour la Terre promise, de devenir le plus sioniste des juifs, de se battre pour « sa » patrie, Nathanson emporte définitivement le public. La scène narrant les allées et venues de Max/Itzig entre les bordels de Jaffa et Tel-Aviv un jour de shabbat est un pur régal, du grand burlesque interprété avec maestria.
 
Adapté pour la première fois au théâtre, Le Nazi et le Barbier, mis en scène avec intelligence et sobriété par Tatiana Werner, est une réussite. On y  découvre un comédien impressionnant, qui se tire à merveille de ce « stand up nazi » et nous laisse un goût de rire amer en bouche.
 
Alain Granat
 
Du 1er décembre 2017 au 28 janvier 2018, les jeudis, vendredis et samedis à 21h et les dimanches à 17h. (relâches exceptionnelles les 24, 31 décembre et les 6 et 7 janvier)
Manufacture des Abesses, 7 rue Véron, 75018 Paris (M° Abesses ou Blanche)
Réservations : 01 42 33 42 03 ou sur le site du théâtre.
Plein tarif 24€, Tarif réduit 13€ (étudiants, demandeurs d’emploi, + de 65 ans, sur présentation du justificatif)
 
© photo : Jacky Villain /DR
Article publié le 22 novembre 2017. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2017 Jewpop

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