Semaine avec Solal. Je décide de prendre de bonnes résolutions. Repas équilibré, poisson grillé, haricots verts et compote de pommes. Bon ok, le petit fait la tronche, mais moi, même si je l’ai soudoyé avec un billet de 5 euros et le droit de mater la 1ère partie de Top Chef, ça me donne bonne conscience et pendant ce temps-là, je pourrai boucler tranquillement mon Powerpoint pour ma réunion de demain 9h30.
21h05, je me tâte sur la taille de la police de ma présentation, alors que je ne sais absolument pas ce que je vais écrire dedans, quand Solal se plante devant moi : «Maman viens voir ! Y a un juif dans Top Chef. Si ça se trouve tu le connais !».
Moi : on est 500 000, je ne connais pas tous les juifs de France. Et si c’était le cas, j’appellerais direct les Wertheimer pour un sac matelassé Chanel noir, grand modèle.
Solal : allez viens…
Rapidement, je check mon téléphone.
Texto de Yaël : «Mets la 6, dans Top Chef y a un Yoni Saada !!!».
Actualité Facebook : Johanna : «Yoni Saada, chef à Osmose est sur M6 dans Top Chef, je kiffe». Statut liké 36 fois avec 17 commentaires qui vont de la demande en mariage à «c’est le frère du voisin de mon cousin à Levallois» en passant par «tu crois qu’il pourrait s’occuper de la Bat de ma fille ? Oui j’ai pris Genèse, mais j’ai pas encore versé les arrhes».
Twitter, toute ma TL ne parle que de lui.
Re-texto de Yaël : «T’es sur la 6 ou bien».
Et là acculée, j’avoue, je me dirige vers la télé, où je découvre une dizaine de candidats s’affolant dans une immense cuisine, un peu comme ma mère la veille de Pessah. Je me dis qu’on est vraiment des gens très bizarres. Pourquoi, dès qu’on repère l’un des nôtres, la perception de la situation nous paraît différente ?
Un exemple ? Le 15 décembre dernier, histoire de plomber le déjeuner de chabbat midi qui commence à se rapprocher de mon célibat bla bla bla, je lâche : «y a eu une tuerie dans une école primaire aux Etats-Unis».
Ma mère : «Quel malheur ! Mon dieu. Ils sont fous aux Etats-Unis. Allez donne-moi ton assiette, ça va être froid». Le soir-même, elle me téléphone : «Tu te rends compte, Noah Pozner, le pauvre et tous les autres petits». Voilà, un juif parmi les victimes et c’est parti. Tout à coup, Newton, lui paraît aussi proche qu’un règlement de comptes à Belleville. Ma mère est comme ça, mais finalement on est tous comme ça.
Me sortant de ma réflexion sur notre judéo-centrisme, qui confine à la séquestration mentale, Yaël m’appelle et hurle au téléphone : «alors t’as vu comme il s’est fighté avec Julien ? Ce Yoni Saada il assure quand même !».
Moi : mouais.
Yaël : il est pas mal.
Moi : mouais bof.
Yaël : par contre il fait pas super feuj, physiquement…
Moi : il s’appelle Yoni Saada, tu veux quoi de plus, qu’il présente à Ghislaine Arabian des keftas royales et une mloukhia en chantant du Raoul Journo ? Sous prétexte que ce mec est feuj, on va regarder l’émission ? Et moi la première, je cède à ca. Je te rappelle que quand Pierre Darmon était à Nouvelle Star, j’ai explosé mon forfait de téléphone pour voter pour lui. Pourquoi on est comme ça ? Pourquoi quand on arrive aux urgences avec un enfant qui fait de la fièvre depuis 5 jours et qu’on tombe sur un interne qui s’appelle Pascal Fitoussi, on est rassuré ? Pourquoi quand j’ai un accrochage en voiture Porte de La Villette, et que je vois sortir un mec avec des tsitsits, je me dis que ça va rien me coûter et qu’on va s’arranger ? Pourquoi quand ma clé se casse dans la porte, si j’ai le choix entre Robert Meunier et Fréderic Valensi, je vais appeler le deuxième ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Yaël : j’en sais rien. Mais sérieux si tu as un problème de porte, Valensi, il est top !
Une heure plus tard, Solal s’est endormi sur le canapé. Je continue de mater le premier épisode de la saison 4 de Top Chef en m’enfilant un reste de Haagen Dasz au Baileys, quand mon téléphone bippe :
Yaël : Shaï dit que les chefs éliront jamais pour un juif Top Chef.
Moi : il est parano ton mari.
Yaël : il est israélien et ouais je te confirme, ça aide pas.
Moi : s’il perd, Yoni peut toujours embarquer sur une flotille de la paix avec Latifa Ichou. Sur place, ils iraient faire la cuisine pour les enfants de Sderot et ceux de Gaza. Ça fera un joli sujet pour le 20h ou « 7 à 8».
J’ai pas eu le temps de lire sa réponse, ma mère m’a appelé sur le fixe : «pourquoi tu parles tout bas ?».
Moi : il est 22h passé, Solal dort dans le salon.
Elle : et ben, elle est belle ton éducation. Il a école demain !
Sentant l’angoisse monter comme la température corporelle d’un préado des années 90 à la vue du clip de Sabrina «Boys Boys Boys», j’ai embrayé direct : «tu devrais regarder la 6, y a un candidat de Top Chef, il s’appelle Yoni Saada, il paraît que ses parents sont bouchers».
Je l’ai entendu hurler à mon père : «Albert, mets la 6, dans le poste y a le fils de… » avant de raccrocher. Et là, je me suis dit que finalement, ce bon vieux judéo-centrisme exacerbé, ça avait parfois son utilité.
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
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