Tu sais que tu as fait la Alyah lorsque tu rentres dans une boulangerie israélienne le vendredi matin. Enfin, boulangerie, rien que de prononcer le mot en Israël, ça peut te faire regretter à vie d’avoir fait la Alyah. Ici on dit Maafia. C’est normal quand tu vois qui sont les responsables, tu comprends vite que t’es tombé dans un traquenard. Toi, t’as grandi avec M. Paul et sa toque blanche et son costume tout blanc et son tablier blanc, qui restait propre toute la journée, alors qu’il avait passé son temps à pétrir la pâte. Il devait être ami avec Ariel liquide.
Mais ici, Ariel, c’est plutôt celui qui t’accueille à la caisse et t’aurais pu lui dire dès ton arrivée : « Non je ne parle pas aux étrangers » ou bien « J’ai dû faire erreur, la boucherie c’est à côté ». Mais non, c’est bien lui qui va te servir ton croissant, ton pain au chocolat et ta baguette. Enfin, c’est comme pour la boulangerie, ils ont gardé le nom de croissant pour ne pas accentuer le traumatisme maciassien des français d’Israël.
C’est donc vendredi matin, et tu t’apprêtes à vouloir acheter tes halots pour chabbat et quelques pâtisseries pour le matin. Là, il faut venir casqué, parce qu’il règne la même ambiance que lors du tournage de « Il faut sauver le soldat Ryan », c’est la Grande Guerre, une bataille de tranchée, ça tire de partout avec lancers de borekas en blietzkrieg. Toi, t’es en panique. En France, quand t’arrivais à la boulangerie, il y avait la queue. Mais quelle queue. C’était une œuvre d’art. En rang par deux, à la queuleuleu. Il n’y avait pas une tête qui dépassait. On te mettait aussi les cordes en paille soutenues par les poteaux en acier de chez Mercedes, pour faire la queue en serpentin, tout était pensé et étudié. C’est-à-dire que Monsieur Paul, il était aussi architecte ingénieur de la queuleuleu.
Ici, en Israël, dans les Maafia, il n’y a pas de queue. C’est tous en ligne et il faut être muni d’un mégaphone pour que le vendeur t’adresse enfin la parole. Alors toi, t’as été habitué à demander au boulanger ce que tu voulais à travers la vitre, que si t’avais le malheur de l’effleurer, la boulangère était à deux doigts de t’envoyer une décharge de teaser. Donc, tu t’approches et tu dis: « Efchar… »( Est-ce possible de…) mais quel babo que tu es. Rien que tu dis « efchar », il s’est foutu de ta tronche. Il te dit « Ma efchar ? » (quoi possible ?) avec l’accent du nez, « Kah sakit ve tivhar » (Prends un sac et sers toi). Si tu oses lui demander de te servir, à mon avis, il appelle direct la Michtara (la police).
Bref, tu te sers, et bien évidemment, tu cherches le pain au chocolat avec la double barre. Mais bien sûr, il n’y en a pas, donc tu te rabats sur cette espèce de croissant qui est entouré de chocolat. Mais t’es pas sûr de toi, parce qu’il y a des grains au bout qui dépassent. Donc tu goûtes pour voir. Et là, le drame absolu, tu te dis « pourquoi ? », comme ça. Tu revois Monsieur Paul te servir son pain au chocolat qui sent le beurre. Il ne te faisait pas des coups comme ça. Donc t’as croqué dans ce truc, et je peux te dire que t’as résolu ton début de crise d’hypoglycémie due en grande partie à la Shrana Talmout de ce bouiboui. Tu demandes au vendeur, la bouche pleine et la tête du dégouté de la vie : « Maa zé, ze lo chocolad ! » (Mais qu’est ce que c’est que ce truc, c’est pas du chocolat !), et il te répond en se foutant de toi: « ze pereg ahi » (c’est du pavot, mon frère). Je peux vous dire que dès que je suis rentré chez moi, j’ai cherché dans le dictionnaire ce que cela voulait dire et j’ai su que c’était du pavot.
Et figurez-vous que le pavot, on s’en sert aussi comme somnifère. J’ai compris pourquoi. Il faut être sacrément endormi pour bouffer des borekas avec du fromage bulgare, des rogalades où le chocolat a dû être mélangé avec la formule de la barbe-à-papa. Le gâteau blanc et rouge que tu crois qu’il y a de la framboise dedans, mais en fait c’est de la noix de coco mélangée avec de la gelée. Et enfin, qui ne s’est jamais fait avoir en achetant la fameuse halot aux raisins ? Mais quelle idée franchement de mettre des raisins dans le pain avec lequel tu vas manger la Makbouba.
En définitive comme t’as une âme de gaulliste, tu n’as acheté qu’une baguette, même si elle avait des grains de sésame dessus.
Jonathan Serero
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Article publié le 4 octobre 2013, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2013 Jewpop