Jessie Kahnweiler fait partie de ces talents montants du petit milieu juif libéral américain. Elle se décrit dans son trailer comme la «Salma Hayek juive», mais en réalité il s’agit plus de replacer l’humour détonant de cette jeune réalisatrice originaire d’Atlanta dans le contexte culturel d’un judaïsme américain ultra-décomplexé. Lorsque le magazine Jewcy la compare à Lena Dunham, actrice principale et réalisatrice de l’excellente série Girls, elle répond «C’est parce que je suis un peu ronde ?».
Dans la grande lignée des Philip Roth et Woody Allen, les États-Unis, et plus généralement le monde anglo-saxon sont traditionnellement un univers de création artistique juive alternative. Pas plus tard qu’en février dernier, on pouvait citer la performance de Lena Dunham au «Bal de Pourim» du Jewish Museum de New York, qui consacrait l’actrice de Girls dans le panthéon des artistes juifs américains doués de toute l’autodérision qu’on leur connaît. Pensons à la façon dont sont dépeintes les familles ultra-stéréotypées d’un Alexander Portnoy ou d’un Alvy Singer (incarné par Woody Allen). De même qu’Allen mettait en scène son alter-ego âgé d’une dizaine d’années à la névrose sans nom, Lena Dunham réinvestit les clichés de l’humour juif américain. Elle introduit même son discours par un «Welcome to my bat mitsvah» et poursuit sa blague parcourue de personnages bien connus : sa mère, son père, un docteur, elle à 6 ans… etc.
Mais pourquoi Jessie Kahnweiler ? La réponse est simple : Lena Dunham met son humour détonant au service d’une vision de la culture juive bien connue. On a un peu affaire à du déjà-vu lorsque Dunham parle juif, parce qu’au fond, son vrai talent est bien plus dans la justesse de sa peinture du petit microcosme new-yorkais évoqué dans Girls. Oui, Jessie Kahnweiler va plus loin : elle parle carrément de religion. Dans sa websérie «Dude where’s my Chutzpah ?», elle ose parler de foi et d’identité juive. Et ça marche. Au début, regarder un épisode de la série de Jessie semble un peu gênant. Dans sa quête de la chutzpah, de l’audace, du courage insolent, elle est d’abord un peu paumée. Jessie qui sort avec un goy, et porte une robe dorée au cimetière… Elle a toujours vécu sans judaïsme et comme elle le rétorque à la femme rabbin de sa grand-mère, décédée un an auparavant : «J’ai toujours très bien vécu sans» («I’ve been fine without judaism»). Car c’est bien d’un défi qu’il s’agit : Jessie se voit confier les derniers souhaits de sa grand mère, et guidée par le rabbin de cette dernière, elle doit trouver ses racines juives… en elle même.
Introspection d’abord bizarre et peuplée de clichés toujours délicieux : le médecin juif, le shopping JAP (Jewish American Princess), la série devient de plus en plus sérieuse. Échouant dans sa première quête de spiritualité à l’épisode 3, durant lequel elle s’exclame «God are you there ?», Jessie prend conscience au fil des épisodes de la diversité des mondes juifs. Elle se met à l’épreuve et ne se ménage plus. Elle rencontre un survivant de l’Holocauste et commence à prendre au sérieux les questions de mémoire collective, puis se rend finalement en Israël, jusqu’au mur de séparation (demandant à son taxi de l’amener au mur des lamentations, elle se retrouve dans la zone de non-droit séparant Israël et Cisjordanie. Tout est millimétré, mais là encore, le thème est traité avec humour et finesse d’esprit. Au sujet de son aventure près de la frontière avec les territoires occupés, Jessie s’explique dans un article publié sur le Huffington Post : «My God Plays Hard to Get». Toujours dans cette fibre de thèmes durs, un nouveau court métrage de l’actrice et réalisatrice sortait il y a quelques jours, sur le thème du traumatisme que représente le viol. Et là encore, c’est terriblement drôle, et surtout, intelligent.
C’est bien ça, la force de Jessie Kahnweiler : traiter de thèmes graves, parler de l’échec initial de sa foi, tout en explorant quelques différentes facettes de l’identité juive avec un humour sans faille. Évidemment, Jessie finit par se trouver, et peut être un peu nous aussi.
Jewpop
Site de la série « Dude where’s my chutzpah ? »
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© photos : DR
Article publié le 18 octobre 2013, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2013 Jewpop
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