« Sur la Torah, j’ai touché le mur et je suis descendu à Eilat ! ». Cette sublime déclamation poétique entendue dans l’avion m’indique que la boucle est bouclée, retour à Paname. Quelle joie de retrouver la très tranquille communauté juive parisienne : les petites disputes qui sous-tendent la pétition lancée pour l’organisation d’élections pour un nouveau Grand rabbin de France, les néo-orthodoxes qui continuent gentiment de nous vanter un mode de vie auquel les orthodoxes israéliens ne croient plus, et surtout notre BHL national qui n’hésite pas à mouiller sa chemise Lanvin sur mesure pour l’Ukraine, histoire d’être sûr de donner raison aux prédictions de Tzuckerweiss.
La veille de mon départ, à la sortie de shabbat, nous nous rendons au Habibi Bar pour une chicha. En accompagnement, ce sera pour moi un cocktail « kamikaze *» ; quand on est resté un orthodoxe un peu antisioniste, on a toujours cette petite envie de tout faire péter en Israël. Ce n’est que dans ces moments-là et dans ces endroits là que l’on peut voir une jolie galerie de portraits des résidents les plus typiques de Jérusalem. Des séfarades à crête et petite kippa, des séfarades tendances Scarface aux bras de poupées slaves, et des séfarades français, ex-étudiants de yeshiva, en mode loosers du samedi soir. Ne vous méprenez pas, point de racisme ici, car les quatre ashkénazes américains à la table d’à-côté sont bien les personnages les plus pathétiques du décor, comme tout américain hors de son territoire.
Pour cette dernière soirée, l’amabilité du serveur fait oublier – ce qui est certes un lieu commun – l’image désagréable renvoyée par les commerçants locaux. À la limite, seul les marchands arabes du shouk ont le vrai sens du commerce et se montrent serviables. À nouveau point de méprise, je n’ai pas dit que les Palestiniens sont les juifs des Israéliens. Mais il faut avouer que pour un peuple que l’on traite souvent avec mépris de « commerçants-nés », le qualificatif ne se vérifie pas en Israël. D’ailleurs l’israélien moyen vous le confesse aisément, vous devez faire un choix : ou la courtoisie européenne et l’indifférence à vos ennuis, ou bien le coup de main pour changer votre pneu crevé à 2 heures du matin près d’un village arabe, même si le lendemain le même gars vous en glissera une en version lafa shawarma (la quenelle ** locale, plus orientale, plus généreuse) si ça peut arranger ses affaires.
Quelles que soient leurs opinions politiques ou idéologiques, les français juifs comme non-juifs ont souvent une vision qui manque de subtilité et de connaissances de la réalité israélienne. Cette réalité et la pluralité des sensibilités est, comme pour tout pays, complexe et difficile à saisir. À ceux qui nous parlent d’apartheid, il suffit de se rendre un vendredi après-midi au jardin Sacher (le plus grand parc de la ville), plein d’une majorité d’arabes-israéliens, qui font des grillades près de juifs à la cool quelques heures avant shabbat. Il suffit également d’emmener ses enfants au musée des sciences Bloomfield – près de la Knesset et dont l’exposition permanente et la déco n’ont pas changé depuis des dizaines d’années – où l’on voit, à nouveau, une majorité d’enfants d’écoles arabes guidés par des salariés arabophones du musée.
Bien entendu, tout n’est pas rose au pays où coule le lait et le miel. Les orthodoxes sont haïs par les laïcs et les sionistes, et en retour haïssent tout le monde. Le marocain s’en prend aux russes, l’arabe-chrétien fait valoir son histoire millénaire et ne veut plus être qualifié d’arabe, et le vieux sabra ne reconnaît plus son petit-fils qui n’a jamais lu Ahad Haam. Tel orthodoxe est antisioniste et anti-palestinien, son voisin est lui sioniste et milite pour plus de justice à l’égard des mêmes Palestiniens. Les plus subtils, qui n’ont pas été abreuvés de télévision dans leur enfance, ne gobent ni la fiction sioniste ni le mythe arabe de la Palestine.
Le standard El-Al de services est bien proche-oriental : à plus de 500€ le billet pour 4h30 de vol (à main armée), soit l’équivalent de 24h dans un palace parisien, on reçoit un repas infect, on doit s’y prendre à trois fois avant de recevoir un verre d’eau et on projette le film Gravity pour bien angoisser les passagers qui ne prennent l’avion qu’à contrecœur.
Malgré tout, dans peu de temps, nombre d’entre-nous serons attablés en famille et dirons : « l’an prochain à Sainte-Anne ».
Tzimel
*Vodka, triple-sec et sour.
**Geste obscène, rire gras et mecca-cola. Faut faire gaffe avec Meir Hababou qui veut pénaliser ce concept, summum de l’élégance à la française.
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© photos : Tzimel
Article publié le 5 mars 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop