L’exposition du Mémorial de la Shoah sur les volontaires juifs étrangers rappelle l’engagement de ces derniers dans la Légion étrangère pendant les deux conflits mondiaux, et soulève un pan trop peu connu de l’histoire de France en leur rendant hommage.
« Souviens-toi de ce que t’a fait l’Amalek de notre génération qui a exterminé six cent myriades corps et âmes, sans qu’il y ait eu guerre ». Les mots en hébreu du poète Zalman Schneour, gravés dans la roche du fronton du Mémorial, interpellent directement le passant de la rue Geoffroy-l’Asnier. Sans qu’il y’ait eu guerre? L’exposition qui se tient actuellement dans ce même bâtiment vient quelque peu nuancer ce propos.
Regardez ces visages, regardez ces faces de « polacks » de « ruskofs », de Roumains, de « marocos », de « tunes », de Turcs, de Grecs. Des juifs, des mensch, des guerriers. Regardez leurs yeux. Vous y trouverez le souffle qui les a précipité dans la fournaise de l’Histoire deux fois en moins d’un demi-siècle. Pour la Patrie du cœur. Celle où désormais on est libres, égaux et frères. Celle dont on dit en yiddish qu’il y fait bon vivre, mais où les enfants parleront la langue de Molière. Celle pour laquelle un Joseph Kessel, futur Immortel à l’Académie française, engagé volontaire lui aussi en 1916, recevra la Médaille militaire et la Croix de Guerre avant même d’être naturalisé.
Marc Bloch, sergent d’infanterie en 1914, capitaine d’Etat-major en 1918, remobilisé en 1939, résistant de 1941 à son exécution par la Milice en 1944, et accessoirement l’un des plus grands historiens que la France ait eu, oui, ce Marc Bloch là, qu’on a voulu mettre au Panthéon, a écrit les plus belles lignes d’amour qu’on puisse dédier à une patrie quand celle-ci s’est mise en tête de rejeter en bloc les Juifs, sans faire de distinction entre les Alsaciens de vieille souche et les derniers arrivant de Pologne. Les volontaires étrangers, eux, n’avaient pas d’agrégation d’Histoire, ni des générations d’aïeux installés entre le Rhin et l’Atlantique. Ils ne fréquentaient pas le beau monde des salons parisiens. Leur IVe arrondissement, c’était encore le vrai pletzl, le shtetl des bords de Seine. Pas de falafels, mais des épiceries sentant fort la saumure et le hareng. Pas de boutique de fringues, mais d’obscurs ateliers où ils fabriquaient celles des autres. Un français parfois hésitant et une vie rude ne leur avait pas donné le goût immodéré pour les palabres sans fin et la masturbation intellectuelle dont nous (votre serviteur le premier) sommes friands de nos jours. Mais ils firent la même chose que Marc Bloch, sans se poser de question, d’un seul élan, « Aux armes, Citoyens ! », sans même être considérés comme des citoyens.
L’amour du bleu, du blanc et du rouge chez ces hommes traités de métèques par les ligues des années 1930 les ont massivement poussés, le 2 septembre 1939 (voir avant pour certains) à affluer en masse aux bureaux de recrutements de la Légion étrangère, pour rejoindre ses régiments de marche, dont la 13e demi-brigade de la Légion étrangère est le dernier représentant encore en activité. Petite anecdote : Pierre Kœnig, capitaine (futur maréchal de France) dans cette fameuse 13eDBLE en 1940, la mènera au combat en Syrie en mai-juin 1941 contre les forces de Vichy, combattant côte-à-côte avec les troupes de l’Empire britannique et leurs engagés volontaires juifs locaux de la Haganah. Dont un certain Moshe Dayan, qui y perdra son œil gauche. Koenig restera toute sa vie engagé pour les Juifs de France et l’État d’Israël, rappelant à qui voulait l’entendre que des Juifs étrangers avaient massivement répondu à l’appel de la France, quand celle-ci résonnait dans le silence de l’occupation et de la collaboration.
Il existe un proverbe hébraïque, מעשה אבות סימן לבנים (« Les actes des pères sont un exemple pour les fils »), qui ressemble étrangement au « More Majorum » (« À la manière des anciens »), devise de la 13e DBLE. En 2014, contre tous ceux qui nous accusent encore de double allégeance, nous nous devons de revendiquer ce double héritage.
Ben Plus
Les engagés volontaires juifs étrangers, au Mémorial de la Shoah (17 rue Geoffroy-l’Asnier 75004 Paris, M° Saint-Paul ou Pont Marie) du dimanche au vendredi de 10h à 18h (22h le jeudi) jusqu’au 8 mars 2015.
Entrée libre.
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Article publié le 21 novembre 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop