Le pavillon Dauphine, à la lisière du bois de Boulogne à Paris, est un lieu réputé pour les fêtes de mariage et de bar-mitsva. C’est aussi l’endroit où se réunissent chaque année les membres de moins en moins nombreux de l’UDA, l’Union des déportés d’Auschwitz, lors d’une assemblée annuelle suivie d’un déjeuner. Parmi eux figurait Simone Veil.
Depuis les années 80, j’allais un dimanche par an à ce déjeuner, assis à une « table de jeunes » où se retrouvaient les enfants ou petits-enfants de cette « amicale » qui réunit des déportés juifs de France et de Pologne. Chaque année, nous les « jeunes », nous retrouvions au cœur de cette assemblée inouïe, une table parmi une vingtaine d’autres, porteuse de l’immense responsabilité qui nous lie à tous ces hommes et femmes que nous respectons, aimons et admirons.
Simone Veil était placée à la « table d’honneur » entourée de ses amis et « camarades », comme elle les nommait avec tendresse et affection. Chaque année, jusqu’à ce que sa santé l’empêche d’être présente, elle n’a jamais manqué de rappeler l’importance de la transmission, de la lutte contre le négationnisme, le racisme et l’antisémitisme, de l’évidence de lutter pour la mémoire de tous les génocides contemporains, évoquant régulièrement le sort tragique des Tutsis devant ses compagnons de déportation.
Je garderai à jamais le souvenir d’une assemblée malgré tout joyeuse, de personnalités emblématiques, de l’élégant et facétieux Maxi Librati à la figure tutélaire de Marcel Stourdzé, torturé et marqué à vie dans sa chair par Klaus Barbie, et qui sera l’un des témoins essentiels de son procès, de Jo Wajsblat et sa fine moustache à la Clark Gable, dont l’histoire mériterait, comme tant d’autres de ses camarades, un biopic. De Simone Veil bien sûr, qui m’impressionnait et saluait toujours mon père d’un chaleureux « Bonjour Guy ! », ou d’Elie Wiesel et Samuel Pisar, qui furent invités à ce déjeuner annuel.
Ce « club » dont les membres auraient tous évidemment voulu ne jamais avoir de carte, est inévitablement voué à disparaître. Les derniers rescapés sont rares, nous sommes désormais les garants et héritiers de leurs témoignages, à l’image du beau et important projet documentaire « Les Derniers » de la réalisatrice Sophie Nahum et de la série de portraits « Les Survivants » réalisée par le photographe Rudy Waks.
Jewpop sera là pour transmettre leur histoire. Tout comme celle-ci, entendue au pavillon Dauphine lors d’un déjeuner de l’UDA. Deux rescapés sont assis côte-à-côte sur une terrasse de café, en été. L’un voit le tatouage sur le bras de son voisin et lui demande :
– Vous avez été déporté où ?
– À Auschwitz. Et vous ?
– Moi aussi. Vous avez été déporté quand ?
– En juillet 44. Et vous ?
– Moi, en mars 43, mais je vous assure, vous n’avez rien loupé…
Alain Granat
Article publié le 3 juillet 2017. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop