Photo de Marie Vaislic, série Les Survivants par Rudy Waks jewpop
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"Les Survivants", des rescapés de la Shoah photographiés par Rudy Waks

11 minutes de lecture

Rudy Waks est photographe depuis 20 ans. Collaborateur régulier des magazines et quotidiens Télérama, Madame Figaro, Elle, Psychologie magazine, Libération… pour qui il réalise des portraits de personnalités, il développe en parallèle de son travail différentes séries de portraits, la dernière en date sur les personnes rousses. Aujourd’hui, il réalise une saisissante et bouleversante série intitulée « Les Survivants », sur les derniers rescapés de la Shoah vivant en France. Rudy Waks répond aux questions de Jewpop.

Photo d'Yvette Levy, série Les Survivants par Rudy Waks Jewpop

Yvette Levy est née à Paris en 1926. Monitrice aux Éclaireurs israélites de France, elle accueille des enfants de déportés jusqu’à leur dispersion dans la clandestinité. Son groupe est arrêté par la gestapo le 22 juillet 1944. Elle est déportée à Auschwitz dans un convoi de 1300 personnes, dont un bébé de 15 jours né à Drancy. Elle est transférée par la suite dans un camp de Tchécoslovaquie. Le camp est abandonné par les SS un jour d’avril 1945. Yvette et ses camarades organiseront eux même leur rapatriement.

“En regardant le mur des noms au mémorial de la Shoah, j’y ai trouvé celui des membres de ma famille morts à Auschwitz”

Jewpop : Qu’est-ce qui t’a amené à réaliser cette série de portraits ? Avais-tu dans ton entourage des rescapés de la Shoah ?

Rudy Waks :  Non, je n’avais aucuns anciens déportés dans mon entourage. J’ai commencé ce travail après une longue réflexion sur mon identité et sur mon histoire familiale. Ces recherches m’ont menées un beau jour au mémorial de la Shoah, et en regardant le mur des noms, j’y ai trouvé celui de membres de ma famille morts à Auschwitz. Cela m’a fait un choc. La décision de commencer ce travail à été prise ce jour là. C’était le 5 juillet 2018, le jour de la mort de Claude Lanzmann.

J. :  Les personnes que tu contactes acceptent-elles toutes d’être photographiées ?

R.W. : Au cours de mon travail je n’ai eu que deux refus, qui n’avaient rien à voir, pour l’une, avec mon travail. Tous les autres ont acceptés très facilement. Il faut dire qu’ils mettent un point d’honneur à témoigner et à transmettre leurs histoires.

“Les survivants sont comme la plupart des gens, ils n’aiment pas vraiment être pris en photo”

Photo de Henri Borlant, série Les Survivants par Rudy Waks Jewpop

Henri Borlant, déporté au camp d’Auschwitz-Birkenau par le convoi N°8 le 20 Juillet 1942 avec son père, son frère et sa sœur. Aucun d’eux ne reviendra. Il restera en captivité pendant trois ans et s’échappera du camp de concentration d’Ohrdruff juste avant son évacuation. Il reviendra en France et fera des études de médecine. Aujourd’hui encore il continue de témoigner et de raconter son histoire.

J. : Comment se déroulent les séances photos ? Quel rapport ont ces « Survivants » avec ton objectif ?

R.W. :  Elles se déroulent de manière très simple. Je viens la plupart du temps chez eux et nous discutons avant la séance. Je leurs explique mon projet et nous faisons les photos. La prise de vue en elle même est très rapide, entre trois et cinq minutes, pas plus ! Les survivants sont comme la plupart des gens, ils n’aiment pas vraiment êtres pris en photos. Néanmoins, ils ont tous très bien compris ma démarche et se sont prêtés à l’exercice avec beaucoup de bonne volonté.

Photo de Ester Senot, série Les Survivants par Rudy Waks Jewpop

Esther Senot est née en 1928 à Kozienice en Pologne. Elle arrive en France en 1930. Arrêtée en juillet 1943 au métro St Paul, elle est déportée à Birkenau par le convoi 59. Elle y survivra jusqu’à l’évacuation du camp le 18 Janvier 1945. Elle subit la marche de la mort, est transférée à Bergen Belsen puis à Mauthausen, où elle sera libérée le 5 Mai 1945. Ses parents, sa soeur, ses deux frères, sont morts à Birkenau.

J. :  Ils sont « Les Derniers », pour reprendre le titre de la websérie de Sophie Nahum qui, comme toi, vise à laisser aux générations futures les témoignages de ces rares rescapés. Comment vis-tu cette « course contre la montre » pour réaliser ton travail ?

R.W. : C’est justement cette urgence qui a fait que j’ai commencé ce travail. Dans ce projet, le temps m’a joué plusieurs fois de très vilains tours. C’est ainsi, il faut l’accepter et continuer d’avancer. Nous avons la chance de pouvoir encore entendre la voix de ces personnes, d’écouter leurs récits, d’apprendre à leur contact. Les générations à venir n’auront pas cette opportunité. Il leur faudra trouver d’autres moyens pour essayer de comprendre ce qu’a été la Shoah. Alors oui, il faut se dépêcher de recueillir leurs témoignages, comme le fait si bien Sophie Nahum, de faire leurs portraits, comme je le fais depuis plusieurs mois. C’est une bien modeste contribution de ma part, mais j’espère que ces images permettront de garder le souvenir de ces personnes encore très longtemps.

“J’aime à croire qu’ils ont accepté, de façon tacite, de me livrer quelque chose d’eux de très intime”

Photo de Marie Vaislic, série Les Survivants par Rudy Waks jewpop

Marie Vaislic a 14 ans quand elle est dénoncée par un voisin à Toulouse le 24 juillet 1944. Elle est déportée à Ravensbrück, et évacuée au camp de Bergen Belsen à l’approche des alliés. Elle y sera libérée par l’armée  britannique.

 J. : En 2005, Raphaël Lévy avait réalisé une série de portraits en noir et blanc de rescapés, publiés dans le livre « 2251 ». Nombre d’entre eux souriaient alors face à l’objectif. Ceux que nous découvrons pour l’instant dans ta série « Survivants » sont empreints de gravité. Est-ce leur regard sur leur passé, sur le présent, sur le peu de temps qu’il leur reste à vivre ? Ou bien ton regard de photographe ?

R.W. : Je ne sais pas à quoi ça tient vraiment. C’est un mélange de tout ça je pense. Il faut savoir que je n’ai donné quasiment aucunes consignes au moment de la prise de vue. S’ils avaient envie de sourire, ils le pouvaient tout à fait, rien n’était interdit ! Il n’y en a qu’une seule d’ailleurs qui n’a pas pu s’empêcher de sourire tout le long de la séance. Elle voulait vraiment sourire et montrer ça d’elle. En général, j’aime quand le sourire, ou le rire, viennent spontanément. Si ce n’est pas le cas, je trouve que ça a souvent un côté un peu forcé, que je n’aime pas trop. Mais j’aime à croire que les personnes que j’ai prises en photo pour cette série m’ont donné leur confiance et ont accepté, de façon tacite, de me livrer quelque chose d’eux de très intime.

Propos recueillis par Alain Granat

Le projet « Les Survivants », indépendant, est soutenu par l’Union des Déportés d’Auschwitz. Rudy Waks a à ce jour réalisé plus d’une vingtaine de portraits, dans le but d’en faire une exposition. Pour soutenir le projet, vous pouvez y contribuer via une cagnotte Leetchi en ligne ici.

La page Facebook du projet

Découvrir le travail de Rudy Waks sur le site de l’agence Modds

© photos : Rudy Waks /DR

Article publié le 14 mars 2019. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop

 

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