Freud, qui aimait tant les antiques, aurait-il apprécié de voir son parcours exposé dans un musée, dédié au judaïsme qui plus est ? À n’en pas douter. Le MAHJ célèbre en beauté ses 20 ans avec la première – et passionnante – exposition consacrée en France au « père de la psychanalyse ».
«Celui de mes malades qui me préoccupe le plus, c’est moi-même», écrira Sigmund Freud à son ami Wilhelm Fliess, à qui il confiera dans une autre lettre, comme le rapporte Jean-Jacques Le Gall dans Télérama : « Penses-tu qu’un jour il y aura sur cette maison (ndlr : le sanatorium de Bellevue, sur les hauteurs de Vienne, où il avait travaillé), une plaque disant : “Ici, le 14 juillet 1895, le secret des rêves a été révélé au docteur Freud ? j’en doute fort. » La plaque lui rendant hommage existe pourtant bien sur cette colline, tout comme on peut aujourd’hui visiter à Vienne le célèbre appartement du Berggasse 19, où le psychanalyste résidait et consultait.
André Brouillet, Une leçon clinique à la Salpêtrière, 1887
Mais c’est à Paris, dans le cadre intimiste des salles du Musée d’art et d’histoire du judaïsme, que l’on peut découvrir jusqu’au 10 février 2019 le parcours du médecin viennois. Remarquablement conçu par l’historien d’art Jean Clair, à qui l’on doit l’extraordinaire exposition « Vienne 1880-1938. L’Apocalypse joyeuse » présentée au Centre Pompidou en 1986, « Freud, du regard à l’écoute » offre au visiteur une vision à la fois très didactique et pluridisciplinaire, mixant sciences, histoire et histoire de l’art à travers une scénographie qui mène le visiteur de surprises en surprises.
Miniature du cabinet de Sigmund Freud, Charles Matton
D’une salle à l’autre, nous découvrons Freud neurobiologiste – un aspect souvent méconnu du public -, sa passion des antiques (il en possédait près de 3000, dont nombre de judaica) à travers une extraordinaire miniature de son cabinet, comment il inventera la psychanalyse et la science des rêves, sa conception de la sexualité, ses liens avec le mouvement surréaliste (rappelons au passage qu’il ne s’intéressait guère à la peinture de ses contemporains viennois Klimt et Schiele) et enfin ses liens au judaïsme.
Gustave Courbet, L’Origine du monde, 1866
Intelligente dans sa conception, l’exposition du MAHJ ravira autant les néophytes que les passionnés, tant les centaines de documents rares (parmi lesquels des dessins de Freud) et œuvres présentées sont riches et parfois spectaculaires, entre pièces maîtresses rarement prêtées telle que L’Origine du monde de Courbet (selfie obligé !) et autres Magritte, Schiele, Klimt, Chirico, Dali… Sans oublier un moulage du mythique Moïse de Michel-Ange en point d’orgue, auquel fait écho un superbe Rothko.
René Magritte, Le Viol, 1945
Une exposition de rêve(s) ? Presque… On aurait apprécié un regard plus approfondi sur les rapports entre Freud – si conscient d’appartenir au peuple juif mais foncièrement athée – et le judaïsme, évoqués ici avec « subtilité ». Mais le superbe catalogue édité par le Mahj et Gallimard permettra de compléter ce très beau parcours, en particulier sur ce sujet précis. À lire évidemment confortablement installé sur votre divan.
Alain Granat
Infos pratiques : « Sigmund Freud. Du regard à l’écoute », du 10 octobre 2018 au 10 février 2019 au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, Hôtel de Saint-Aignan – 71, rue du Temple – 75003 Paris
Horaires d’ouverture de l’exposition : mardi, jeudi, vendredi de 11h à 18h, mercredi de 11h à 21h, samedi et dimanche de 10 h à 19 h
Informations : http://www.mahj.org Tel : 01 53 01 86 65
Tarifs : plein tarif : 10 € ; tarif réduit : 8 € ; 5€ pour les 18-25 ans résidents européens
En parallèle de l’exposition, une série de rencontres et de conférences est organisée par le MAHJ :
– Mercredi 14 novembre 2018 à 19h30 : Freud entre visible et invisible (par Jean Clair)
– Mercredi 5 décembre 2018 à 19h30 : Freud et la psychanalyse face à la montée des périls (avec Laurence Kahn et Jean-Michel Rey, rencontre animée par Emmanuel Laurentin)
– Mercredi 12 décembre 2018 à 19h30 : Freud et les écrivains, Freud écrivain (avec la participation de Jacques Le Rider et Michel Gribinski, lecture de textes par Martin Ploderer)
– Mercredi 9 janvier 2019 à 19h30 : Freud neurologue et biologiste (avec François Ansermet, Laura Bossi et Lionel Naccache, rencontre modérée par Antoine Mercier)
– Mercredi 23 janvier 2019 à 19h30 : Les rêves et leur interprétation (avec la participation de René Levy et Andreas Mayer)
– Mercredi 6 février 2019 à 19h30 : Pourquoi Moïse ? (par Sylvie Anne Goldberg)
Ne pas manquer également le nouveau numéro du magazine Tenou’a « Sur le divan avec Freud »
Écouter l’unique enregistrement de la voix de Sigmund Freud (BBC Broadcasting 1938)
Les cinéphiles pourront revoir ici le film de John Huston « Freud, The Secret Passion » (1962), avec Montgomery Clift dans le rôle de Sigmund Freud, scénario de… Jean-Paul Sartre !
Freud, passions secrètes from le vaguerese on Vimeo.
© visuels : MAHJ / DR
Article publié le 12 novembre 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop