“Salami à Saint-Domingue” n’est pas le titre d’un nouveau OSS 117, mais l’histoire de juifs allemands et autrichiens réfugiés pendant la Seconde Guerre mondiale en République dominicaine. Ils y importèrent leur savoir-faire en matière de fabrication de salami, qui deviendra grâce à eux l’un des mets favoris des habitants de l’île. Une délicieuse histoire de saucisson pas très casher, que vous conte Jewpop.
Plage de Sosúa, sur la côte nord de l’île dans la province de Puerto Plata
C’est dans le livre Cuisine de mon terroir édité par l’Ambassade de République dominicaine en France, que nous avons découvert la recette des “Domplines et ragoût de salami”, un plat dont sont friands les Dominicains et dont l’auteur du livre, Jeanne-Marion Landais, rappelle les liens avec la communauté juive locale.
Une communauté qui, comme le souligne Jeanne-Marion Landais, a une longue histoire commune avec Saint-Domingue, comme en témoignent les noms de famille d’origine séfarade trouvés dans les plus anciens registres municipaux de l’île. Mais c’est surtout à l’aube de la Seconde Guerre mondiale que des juifs originaires d’Allemagne et d’Autriche vont arriver en République dominicaine. Le 12 mars 1938, la Wehrmacht entre dans Vienne. 200 000 juifs autrichiens sont pris au piège, comme ceux d’Allemagne depuis les lois de Nuremberg de novembre 1935. Face aux nombreuses demandes de juifs candidats à l’émigration aux USA, les États-Unis organisent une conférence internationale à Evian pour tenter de régler le sort des réfugiés, et surtout éviter un afflux massif de juifs sur le territoire américain.
Rafael Leonidas Trujillo
Le 12 août 1938, la délégation de la République dominicaine y est porteuse d’un message. Rafael Trujillo, dictateur au pouvoir dans l’île depuis 1930, est disposé à « recevoir immédiatement cinquante à cent mille immigrants involontaires ». La proposition surprend car le souvenir du massacre des Haïtiens organisé par ce dernier en 1937, qui verra 20 000 hommes, femmes et enfants haïtiens assassinés par les troupes et civils dominicains, est encore dans les mémoires diplomatiques. Un délégué américain interroge alors Trujillo, qui confirme vouloir accueillir cent mille réfugiés, « sinon davantage ».
Des réfugiés juifs allemands et autrichiens débarquant à Saint-Domingue, alors rebaptisée Ciudad Trujillo, en 1940
Mais sa proposition d’accueillir ces juifs allemands et autrichiens n’est pas sans arrière pensée. Outre vouloir récupérer un semblant de respectabilité internationale, Trujillo voit avant tout dans cette population juive des Européens, des « blancs », et aussi des « gens d’argent », et donc une « opportunité » pour accélérer le développement économique du pays. Une offre de 5000 dollars or par réfugié est également proposée par la communauté juive de New-York pour contribuer au projet. Près de 5 000 visas dominicains seront émis, mais ce sont 645 personnes qui débarquent finalement en 1940 en République dominicaine, installés dans la ville de Sosúa avec le soutien financier du Joint (un documentaire, « Shalom Amigos », relate cette odyssée). La République dominicaine sera le seul pays, outre Israël, a être considéré comme « Terre des Justes ».
Réfugiés juifs cultivant la terre à Sosúa
Sosúa, sur la côte nord de l’île dans la province de Puerto Plata, est aujourd’hui une charmante petite station balnéaire, qui n’a pas encore été défigurée par l’essor touristique que connaît depuis des années Punta Cana, destination dominicaine privilégiée des touristes. Mais lorsque ces 645 juifs allemands et autrichiens, pour la plupart professeurs, médecins, musiciens, commerçants… originaires de Berlin, Cologne et Vienne y débarquent, ils se trouvent confrontés à une chaleur torride, au manque d’équipements, à la malaria… Trujillo leur donne des terres à cultiver et du bétail à élever, tandis qu’ils s’organisent une vie culturelle et religieuse, bâtissant même une synagogue.
Ces juifs allemands et autrichiens s’adaptèrent tant bien que mal – et plutôt bien – au point que leurs fermes prospérèrent et que certaines d’entre-elles devinrent d’importantes entreprises du secteur agro-alimentaire local, façon kibboutz dominicain. Au sein de la DORSA (Dominican Republic Settlement Association), ils se consacrèrent à la fabrication de produits laitiers et de charcuterie, principalement du saucisson à base de porc, ce salami qui deviendra très prisé des Dominicains.
Fabrique de salami à Sosúa
Quelques descendants de ces juifs vivent encore à Sosúa aujourd’hui, la plupart se sont mariés avec des Dominicaines et résident aujourd’hui dans la capitale de l’île. Des produits laitiers et du salami continuent d’être fabriqués selon les recettes germaniques importées par ces immigrés juifs, labellisés « Productos de Sosúa », synonyme de la qualité de leur coopérative, la Compania Industrial Lechera. Tandis qu’à Sosúa, un musée juif et un monument rappellent l’histoire de cette petite communauté de rescapés, et leur refuge en terre dominicaine.
Alain Granat
La recette des “Domplines” avec ragoût de salami pour 6 personnes :
Ingrédients :
Pour les domplines
200g de farine de blé
2½ cuillères à café de sel
180 ml d’eau à température ambiante
3 cuillères à soupe d’huile végétale
2 litres de bouillon de pulet, qui peut-être remplacé par de l’eau
Pour le ragoût de salami
2 cuillères à soupe d’huile végétale
450g de salami
1 oignon rouge coupé en julienne
3 gousses d’ail écrasées
½ poivron rouge coupé en julienne
4 tomates pelées et épépinées , concassées
120 ml d’eau
1 cuillère à soupe d’origan moulu
sel et poivre, tabasco
Préparation :
Pour les “domplines”
1. Mettre la farine et le sel dans un bol. Faire un puits au centre, ajouter l’huile et l’eau
2. Mélanger le liquide et la faine doucement, avec les mains et en spirale.
3. Pétrir avec les 2 mains jusqu’à obtenir une pâte sans grumeaux. Si la pâte est trop collante, ajouter de la farine.
4. Laisser reposer la pâte environ 10 minutes.
5. Porter à ébullition le bouillon de poulet pendant que la pâte repose.
6. Prendre la pâte et l’étaler en formant des bâtonnets de 5cm de long (dans certaines régions de la République dominicaine, les domplines peuvent prendre la forme de… boulettes 😉
7. Répéter l’opération avec toute la pâte , faisant en sorte qu’ils aient tous la même forme pour que la cuisson soit uniforme.
8. Verser les “domplines” dans le bouillon en ébullition et laisser cuire jusqu’à ce qu’ils remontent à la surface du liquide. Retirer du bouillon et réserver.
Pour le ragoût de salami
1. Chauffer l’huile végétale dans une casserole.
2. Ajouter les cubes de salami et faire revenir pendant 2 minutes.
3. Ajouter l’oignon, l’ail et le poivron, les tomates et le concentré de tomate. Bien mélanger et laisser cuire 5 minutes.
4. Ajouter l’eau, l’origan, le sel, le poivre et le Tabasco.
5. Cuire encore 5 minutes.
6; Verser les domplines dans le ragoût de salami et mélanger.
7. Retirer du feu et servir chaud.
Et si vous mangez casher, vous pouvez adapter cette recette avec une sauce au fromage, ou encore avec des sardines grillées ou du ragoût de morue et une sauce tomate et noix de coco, variantes courante des recettes de domplines dans la cuisine dominicaine.
À lire absolument, l’extraordinaire roman La fête au bouc de Mario Vargas Llosa, qui évoque les derniers jours de Rafael Leonidas Trujillo.
Le site Sosuamuseum, qui présente une belle galerie de photos de la communauté juive de la ville
© photos : Christopher Links / DR
Article publié le 5 décembre 2019, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop