Le titre Dieu, Brando et moi ne donne pas une idée très juste de ce que l’on va découvrir avec jubilation sur la scène parisienne du Studio Hébertot. Encore moins le début du pitch de la pièce : C’est l’histoire d’un enfant sauvé de la barbarie nazie par la communauté protestante du Chambon sur Lignon. L’histoire de Daniel Milgram, comédien disparu en 2017 à l’âge de 75 ans, avait été portée sur scène par lui-même dans ce rare et inouï “village des Justes” honoré par Yad Vashem, où il fut caché bébé, avant d’être présentée au festival d’Avignon. Le formidable comédien Patrick Simon l’incarne aujourd’hui dans ce bréviaire d’humour juif et d’humanité.
Daniel Milgram avait rendu hommage au Chambon sur Lignon, ce « village gaulois et protestant du Vivarais » selon ses propres termes, qui l’avait caché, enfant, ainsi que des membres de sa famille. En 1943, âgé de 8 mois, il avait été protégé par une famille de La Batie de Cheyne avec son frère aîné Claude, son oncle et sa tante. Gardant des liens extrêmement forts avec ce lieu de Justes cévenols, ancré dans la tradition protestante, il rendait régulièrement visite aux descendants des familles Ollivier et Kittler qui avaient caché sa famille. L’un des traits d’humour du très beau texte de la pièce, écrite par Gilles Tourman, qui ne se prive pas de souligner ce witz – trait d’esprit en yiddish – cette dernière famille nommée à quelques lettres près comme le responsable de l’extermination des juifs d’Europe.
Marlon Brando est le fil conducteur de cette pièce, l’idole de Daniel Milgram, qui subjugué par l’aura de l’acteur d’Un tramway nommé désir, deviendra comédien. “Stella, Stella !” entonne Patrick Simon en préambule, avant de débuter son dialogue avec ce père au seuil de sa vie, tailleur qui aurait rêvé de travailler dans le monde de l’édition. Mais c’était trop demander à sa femme, épouse et mère juive dans toute sa splendeur, qui tient dans Dieu, Brando et moi une place incommensurable.
Dieu, Brando et moi est un époustouflant condensé de vie juive, de vie tout simplement. Entre aspirations professionnelles déçues, contées avec une superbe autodérision, tranches de vie conjugales pourries par une mère castratrice (forcément juive, la circoncision est en bonus), questionnements sur Dieu (comment a-t-il pu laisser exterminer des enfants…), et toujours cette présence du Commandeur Brando, qui vient rappeler qui est le “patron” des acteurs (le spectateur ne manquera pas de lire à la suite de la pièce l’excellent roman de Samuel Blumenfeld Les derniers jours de Marlon Brando).
On rit énormément, malgré tout, le texte superbement porté par Patrick Simon fleurissant d’histoires juives souvent connues mais que l’on a plaisir à retrouver, emblématiques d’un humour ashkénaze qui fait toujours mouche, même pour les non initiés. Patrick Simon, dans une mise en scène parfaite de Maurice Zaoui, joliment illustrée musicalement par Ilan Zaoui (fratrie du groupe Adama), est d’une justesse absolue, entre burlesque et émotion, tel un Pierre Richard du shtetl.
C’est dans le dernier quart d’heure de la pièce qu’est mis l’accent sur l’hommage rendu aux Justes, en mémoire de l’extraordinaire pasteur Trocmé, de sa femme Magda et des habitants du Chambon sur Lignon, qui risquèrent leur vie pour sauver près de 5000 juifs durant la guerre. Courez voir Dieu, Brando et moi, cette pièce est un petit miracle, qui résonne d’une brûlante actualité.
Alain Granat
Dieu, Brando et moi, au Studio Hébertot, 78 bis Boulevard des Batignolles – 75017 Paris, jusqu’au 17 novembre
Mercredi et jeudi 19h, vendredi et samedi 21h
Réservations par téléphone au 01 42 93 13 04
© photos : Photo Lot / DR
Article publié le 7 novembre 2019, tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2019 Jewpop