La berakha du Rabbin

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La cuisine de ma mère est la seule chose que je peux mettre dans la colonne « + » en haut de la feuille où j’écris « Passer les fêtes chez mes parents ». Dans la colonne (non-exhaustive) « – », on trouve notamment « Prière trop longue », « Neveux de plus en plus cons », « The Voice samedi soir ». Et comme à Pessah, je trouve qu’on bouffe mal, j’ai rien à mettre dans la colonne « + », donc vous comprendrez pourquoi je ne suis pas fan de cette fête. Mais cette année, ma mère, m’étonnant de jour en jour, a réussi à m’énerver avant même le soir du séder.

Vendredi 17h : son numéro s’affiche sur mon portable : « Bon tu sais à Pessah, ma fille, faut pas seulement faire le ménage dans sa maison. Maintenant que t’as nettoyé tes vitres, faudrait aussi t’occuper de ta …. ah comment il a dit déjà, faut purifier ta milrama. Tu comprends ? »

Moi : « Ouais, ce que je comprends, c’est que t’as eu Eric en ligne. Maman j’ai rien contre le fait qu’il te fasse un dvar torah par téléphone d’Israël, mais évite de regarder les Feux de l’amour en même temps. Milrama, c’est la guerre. Je pense qu’il voulait parler de la néchama, l’âme, c’est ça ».

Ma mère : « La néchama, c’est ce que j’ai dit. Bon allez, allez, arrête de te moquer de moi. Dimanche matin j’ai besoin d’aller faire des courses. Accompagne-moi».

Trois jours plus tard, me voilà en voiture. Direction le 19e arrondissement de Paris.

Ma mère : « Tiens, gare-toi là. Y a une place. C’est au numéro 8  »

Moi : « Mais enfin y a aucun magasin dans cette rue.»

Ma mère : « C’est normal, on va rien acheter, on a rendez-vous chez un rav, il va te faire une berakha »

Elle avait dit ça avec aplomb et lassitude, comme ces parents qui vous déposent chez le médecin pour un vaccin, après vous avoir fait croire tout le chemin que vous alliez à Disneyland Paris. J’ai eu beau lui faire remarquer que j’étais en jean déchiré et en Ugg, elle a rajusté son vison en me disant : « C’est pas ma faute si tu t’habilles comme une souillon, et puis si je t’avais dit où on allait, tu serais pas venue, alors arrête ! ».

Nous voici installées dans une salle d’attente de 30m2. On se croirait à la porte d’embarquement 7 d’un vol Paris-Tel Aviv. À ma droite, une fille, foulard sur la tête, manches longues, à coté d’elle son mari lit des tehilims en se caressant ce qui sera sans doute une barbe un jour. Pour le moment ça ressemble à la moumoute d’un ex- présentateur du 20h, jour de grand vent à Trégastel (si t’as pas trouvé c’est grave). Elle s’appelle Noémie. Elle a 21 ans. Ils sont mariés depuis 6 mois et n’ont toujours pas d’enfant. Elle me demande pourquoi je viens. Et là, tentant de contenir ma panique, je me retourne discrètement vers ma mère en lui chuchotant : « Je suis censée lui dire quoi au rabbin ? « 

Et là, avec le niveau sonore d’une alarme-incendie, elle me répond. « T’as 35 ans, t’es divorcée, mère-célibataire, tu fais pas chabbat, tu t’entends pas avec tes belle-soeurs, à chaque fois qu’on se parle ça finit en hurlements. Alors toi, t’inquiètes pas, si tu sais pas par où commencer je parlerai pour deux. Et puis d’abord c’est pas un rabbin, c’est un rav. Un grand rav. En Israël, il conseille Ariel Sharon »

Moi : « Super. Le mec il est dans le coma. Tu me diras c’est pas hyper prenant comme job. Il doit avoir le temps de se faire des bouffes avec le régisseur de Withney Houston et la maquilleuse de Pascal Sevran ».

Au moment où ma mère me demandait de me taire, le secrétaire du rav nous a fait entrer dans son bureau.

En face de nous, derrière un petit bureau vide, un grand type avec une barbe longue comme le dossier des Disparus de Mourmelons nous demande l’objet de notre venue.

Et là, ma mère a dû entendre «moteur, ça tourne», car elle s’est lancée dans un grand numéro tragi-comique, mélange de Sarah Bernhard imitant Marthe Villalonga (ou le contraire), pleurant, implorant, les mains vers le Ciel. Tout y est passé, moi bien sûr mais aussi mes frères qui vivent ici et qu’elle a peur des actes antisémites, moi encore, mon frère Eric qui vit en Israël et qu’elle a peur des attentats, moi toujours. En reniflant une dernière fois, elle a regardé le rav en lui demandant une prière pour que Dieu l’aide à surmonter tout ça.

En remplissant une feuille de papier, il m’a regardé en me demandant ce que je voulais. Et là j’ai répondu : « Je voudrais que ma mère arrête de me considérer comme un problème. Quoi d’autre ? Ah si, qu’elle avoue enfin aux copines de son club que je suis divorcée. Si vous pouviez lui faire comprendre qu’être divorcée, c’est pas comme être atteinte d’une maladie sexuellement transmissible, ça m’aiderait. Et puis tant qu’on y est, si vous pouviez faire en sorte que mon père et mes frères s’engueulent pas le soir du séder pour savoir si à ce moment là, le plateau doit être couvert ou découvert, ou si on en est à la 4e ou 5e coupe de vin. Et puis si vous avez les numéros du prochain tirage de l’Euromillions, je suis preneuse ». Le rav a souri en me disant que Dieu nous avait donné le plus grand des trésors : la Thora. Ce à quoi j’ai répondu : « Ok d’accord, mais chez Louboutin, ils prennent pas les versets, ils prennent que les euros »

De retour chez moi, j’ai envoyé un mail à mon frère Eric.

« Eric, sur tes conseils nous avons été voir le rav. Mec très sympa d’ailleurs. Il a été catégorique. Maman doit faire son alyah. Elle arrivera donc le 16 avril soit le lendemain de la fin de la fête de Pessah, qui marque le début de la traversée du désert par les hébreux. Une traversée qui dura 40 ans. Maman ayant aujourd’hui 76 ans et comme t’arrêtes pas de lui souhaiter de vivre jusqu’à 120, je te laisse faire le calcul. Mais t’es bon, t’es dans les clous.

Bonnes fêtes.

Ta soeur »

The SefWoman

 
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
 

 
 
 
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