Dis-moi pour qui tu votes

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Dimanche 15 avril, je traîne mon ennui dans le Marais avec Yaël, qui attend son premier enfant et Shaï, son mari israélien reparti  en Terre Sainte pour ses milouhims. La file d’attente devant l’As du Falafel est aussi longue que la liste des dossiers prioritaires pour obtenir un HLM à Paris, on se rabat donc sans grand enthousiasme pour une formule à emporter.

Manger un schwarma debout dans la rue, c’est comme contracter un crédit à la consommation pour payer un voyage à prix cassé sur Internet. Au début, tu penses que tu fais une bonne affaire. Effectivement, sur le coup c’est pas cher. Dix minutes plus tard, quand t’as utilisé quatre paquets de mouchoirs pour te débarbouiller la figure dans la vitrine d’une boutique de fringues, t’es forcée de constater que t’es bonne pour aller déposer ton manteau en laine et cachemire mélangés au pressing. Lieu où tu devras avouer à une employée aimable comme un OPJ qui vient de te mettre en garde à vue, « cette tache là, c’est une sorte de sauce, ça s’appelle de la tehina », ce à quoi elle répondra sans te jeter un regard « ah bon moi je pensais que c’était des fientes de pigeons… »

Nous voilà toutes les deux mangeant tant bien que mal le fameux sandwich en tentant de remonter à contre-courant la rue des Rosiers, à la recherche d’un banc et d’un prénom pour le futur bébé.

Elle : Shelly, c’est bien Shelly. Non ?

Moi : Ouais bof….

Elle : Shaï, il aime Gadiel ou Batel.

Moi : « Le chevreau de Dieu », « La fille de Dieu », il a un peu le melon ton mari.

Elle : Tu comprends rien, c’est spirituel, ça te dépasse évidemment…

Soudain Yaël se précipite dans une boutique en hurlant « Regarde ces chaussures, je les veux, je les veux ! ». Pour me convaincre de l’urgence, elle jure sur la vie de sa mère et un peu sur celle son bébé, et me plante en me confiant son schwarma.

Pensant sans doute que c’est l’instant idéal pour m’accoster, un mec s’approche de moi au moment pile où je n’ai trouvé que ma langue pour rattraper le houmous qui s’apprête à attaquer mon manteau Kooples, avec cette phrase somme toute très juste : « Deux, c’est pas beaucoup pour un seul estomac ».

Moi : …. (mais pourquoi je souris bêtement moi)

Lui : On se connaît non ?

Moi : Qui sait ? (mais qu’est ce qui m’a pris de prononcer cette phrase à  la con)

Lui : Sérieusement… David P. Ca te dit rien ?

Moi : Si. Ton visage me dit quelque chose. T’as pas fait le club de Kemer en Turquie ? je me souviens d’un David P. qui avait dragué ma copine Stéphanie. Il était tellement bourré qu’il lui a vomi dessus au moment …

Lui : … Au moment ?

Moi : … Au moment où il a joui. (mais pourquoi je raconte ça moi putain !)

Lui : (visiblement pas vexé) Non c’était pas moi, j’essaie d’être original au pieu mais j’ai encore quelques tabous.

Il est beau ce con quand il sourit. Résumons la situation. J’ai un schwarma dans chaque main, une Yaël qui tente, faute de chaussures à sa taille, de rentrer dans un pantalon 28 en dépit de son vente de femme enceinte de 4 mois, et un « charmant » jeune homme qui a décidé de ne pas quitter les lieux avant qu’on sache où on s’est croisé.

Lui : « L’UEJF ? On a dû se croiser en convention non ? »

Moi : « L’UEJF ? L’Union des étudiants juifs de France. Tu parles de ces jeunes qui se réunissent pendant des heures pour savoir s’ils vont voter la motion « Jérusalem capitale une et indivisible de l’Etat d’Israël » ou « Jérusalem capitale indivisible et une de l’Etat d’Israël ». Ah non j’ai beaucoup d’imagination pour rien faire de mes journées, mais il me reste quand même quelques tabous ».

Lui : « T’es dure je trouve ? l’Union des étudiants juifs de France c’est autre chose »

Moi : « Ouais c’est vrai… Toutes ces filles qui lorgnent sur des garçons qui draguent des hommes politiques de gauche pour se faire remarquer. C’est une parade nuptiale qui vaut le coup. Sérieux, l’UEJF, à mon époque, c’était quand même surtout un pourvoyeur de sandwichs à la charcuterie ou au thon »

Et  là, emportée dans mon élan, j’avais oublié les deux schwarmas que je tenais dans les mains depuis 15 bonnes minutes

Lui : Venant d’une spécialiste, l’UEJF doit prendre ça comme un compliment. Je dois y aller,  je vais assister à un meeting. Ecoute, je te laisse ma carte et cette semaine appelle moi, on pourrait … faire un truc que t’aime bien, genre … manger … par exemple.

Moi : … Qui sait ? (Faut que j’arrête avec cette phrase, à part Kelly dans « Beverly Hills », qui dit ça ?)

En me tendant sa carte, il conclut : t’as raison, on s’est pas croisé à l’UEJF. Une fille qui a milité m’aurait demandé si je vais à la Concorde ou à Vincennes.

Moi : Voyons… C’est sur la ligne 1, donc t’es dans les temps pour les deux. Tu portes des Fred Perry avec un jean, ce qui ne veut rien dire. Ta Jeager Reverso Grand GMT coûte à peu près 9 000 euros mais bon, depuis Julien Dray, on sait qu’on peut aimer les montres de luxe et voter socialiste. T’as été à l’UEJF donc oui, t’as été de gauche, mais je ne mettrais pas ma main à couper que t’as voté Royal en 2007. Mais ça veut pas dire que tu vas pas voter Hollande. Je dirais que tu vas à Vincennes.

Lui : marchant à reculons, « Qui sait ?… Si tu m’appelles je te dirai »

Quand Yaël débarque, il a tourné les talons.

Elle : Je savais pas que tu connaissais David P ?

Moi : Je le connais pas. Vas-y balance le pedigree.

Elle : Alors. 41 ans. Métier indéfini mais pas de problème d’argent. Divorcé deux fois. Pas d’enfant.

Moi : On s’en fout de ça. Il vote pour qui ?

Elle : C’est quoi ces questions ? Je comprends pourquoi tu n’as pas de mecs depuis ton divorce. Tu peux pas te demander des trucs basiques, genre, « ils viennent d’où ses parents ? ». J’en sais rien moi pour qui il vote. Tout ce que je sais c’est qu’il habite en Belgique depuis deux ans.

Moi : Un évadé fiscal. Et merde. Je vais quand même pas sortir avec un sarkozyste, ça ferait trop plaisir à ma mère.

The SefWoman

 
 

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