Cher Alexandre Arcady

9 minutes de lecture

 
 

Si je me permets de t’écrire aujourd’hui ce n’est pas de gaieté de cœur. En effet, ce que j’ai à te dire ne sera pas agréable à lire, mais rassure-toi, pour moi ce ne fut pas agréable à écrire. Cette lettre sera donc pour nous deux un mauvais moment à passer, un peu comme un de ces rendez-vous avec l’être (plus vraiment) aimé, précédé de la fameuse formule « faut qu’on parle », qui se solde quasiment toujours par un break  lui-même invariable prélude à une rupture définitive. Ouais Alex, permets-moi de t’appeler Alex, faut qu’on se parle.

 

Dimanche soir, France 2 a diffusé « Comme les cinq doigts de la main ». Et là, tout m’est apparu clairement, telle une évidence. Un peu comme la femme qui entend un matin le reniflement de trop de la part de celui qui partage sa vie depuis 36 ans, et qui décide de tout envoyer valser.

 

 

Alex, on ne va pas y aller par 4 chemins, faut que t’arrêtes de réaliser des films. C’est mieux pour toi, pour moi et pour nous tous. Nous qui ? Ben nous, quoi. Nous, tous ceux que tu prétends dépeindre. Alors voilà, je ne sais pas depuis combien de temps tu n’as pas croisé un de mes coreligionnaires, mais faut que tu saches qu’on ne roule pas tous en 4×4 BMW et qu’on n’a pas tous des pharmacies dans le 16e.

 

J’ai rien contre les scènes de cuisine avec gros plan sur la graine de couscous, mais si tu pouvais un jour filmer une de mes coreligionnaires en phase shopping sortir de H&M et pas de chez Dior, ça me ferait plaisir.

 

Alors oui, je sais, si t’arrêtes d’être derrière la caméra :

 

– On n’aura plus droit à Patrick Bruel qui récite le chema Israël quand quelqu’un meurt. Mais sérieux tu touches une subvention du Consistoire à chaque fois que tu la places dans un de tes films ?

 

– Tu vas mettre au chômage technique Amidou, Lucien Layani et Jean-Claude de Goros.

 

 
– Tu vas foutre dans la merde toutes les institutions juives qui attendent la sortie de tes films pour organiser des avant-premières et récolter des fonds en faisant payer une place de cinéma 60€.

Attention, je ne dis pas que toute ta filmographie est à jeter à la poubelle. Tu as fait des films mémorables, qui resteront à jamais gravés dans nos cœurs. Grâce à toi :

 

– Toute une génération de mecs connût ses premiers émois en voyant Clio Goldsmith se trémousser sur la piste de Régine, en rêvant de se payer une Renault Alpine.

 

 
– Leurs petits frères ont bavé devant l’hébreu si imparfait de Sophie Marceau, en rêvant de se taper Yaël Abécassis dans le camion de la récolte de coton.

 
– Quant à nous les filles, après avoir suivi les premiers pas parisiens de Paulo Narboni, on aurait bien consolé Simon Atlan, histoire de lui faire oublier sa connasse d’ex de Laura.

 

Mais aujourd’hui, Alex, faut te rendre à l’évidence. Tes films sont une enfilade de clichés tellement éculés, que même les antisémites n’osent plus les utiliser. Quant aux nostalgiques de l’Algérie française, à ma connaissance, ils sont soit morts, soit atteints de Parkinson, tu sais cette maladie qui t’oblige à trembler comme si tu dansais la tektonic dans des gestes désordonnés. Dernière victime en date, notre non-ami Gérard Longuet.

 

 

Bref, Alex, on s’est aimé vraiment, sincèrement, éperdument et puis voilà. On a grandi, vieilli. On s’est lassé de tes histoires juives cousues de fil blanc, où tu recycles les mêmes acteurs avec le même systématisme qu’un vieil écolo qui, toutes les semaines, vide son compost dans son jardin.

 

Prenons au hasard deux de tes derniers films :

 

Mariage mixte : moins de 220 000 entrées. Gérard Darmon, tu lui as proposé le scénar le jour où il a reçu sa feuille d’impôts ? Quant à Olivia Bonamy, cette femme est une miraculée. Après ce film, elle a réussi à mettre le grappin sur (le sublime) Romain Duris, tu sais le mec qui tourne avec Patrice Chéreau, Jacques Audiard… Leur association est aussi probable que si Michael Lonsdale se mettait en ménage avec Laetitia Milot de  «Plus belle la vie».

 

 

Comme les cinq doigts de la main : un peu moins de 500 000 entrées. Patrick Bruel a toute la panoplie du juif séfarade vieux beau pété de thunes et qui, Dieu merci, a le sens de la famille.  Quand il parle à ses frères, il leur attrape la nuque et leur chuchote à l’oreille. Il joue aussi mal que Michèle Laroque dans «Comme t’y es belle», qu’on en vient même à douter qu’il s’appelle non pas Patrick mais Benguigui.

 

 

Alors voilà, je te le dis parce que je t’aime comme un de ses ex qui a compté. Je reverrai toujours avec plaisir «Le Grand carnaval» ou encore «Pour Sacha» sur une chaîne du câble, comme on tombe par hasard sur une vieille photo un peu abîmée par le temps où on a 16 ans, et qu’on sourit de toutes ses dents. Je te le dis gentiment, solennellement, fermement, voire rageusement : pose ta caméra.

 

Si je prends la peine de remettre une couche, ce n’est pas uniquement pour m’assurer que tu as bien compris le message. C’est parce que j’ai appris que tu bossais sur une adaptation de «24 jours, la vérité sur la mort d’Ilan Halimi» et ça, ça me fait flipper. Car comme tu le sais, la maladresse est pardonnable, la faute beaucoup moins.

 
 
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
 

 
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