Angoisse du roi Salomon Théâtre

Bruno Abraham-Kremer joue "L'Angoisse du roi Salomon", de Romain Gary

6 minutes de lecture

 
Bruno Abraham-Kremer, célébré pour ses interprétations d’Ibrahim et les fleurs du Coran, de La vie sinon rien, de L’Amérique (Molière 2006 Grand Prix spécial du Théâtre privé) ou encore de Jankélévitch, la vie est une géniale improvisation, avait admirablement adapté La promesse de l’aube de Romain Gary en 2012, sublimant l’art du seul-en-scène avec la complicité de Corine Juresco, metteur en scène et co-adaptatrice de ses créations. Le duo revient à Gary, avec son avant-dernier roman, L’Angoisse du roi Salomon, écrit sous son pseudonyme Émile Ajar. Jubilatoire. La rime est certes facile, mais le mot décrit à merveille ce savoureux moment de théâtre.
 

Bruno Abraham Kremer Jewpop

 
L’Angoisse du roi Salomon, publié en 1979, est un bijou d’humour juif teinté d’ironie mordante (pléonasme), où le thème de la générosité se frotte à la figure divine et à la parfois triste réalité de l’humanité. Salomon est un mentsch. Le genre de bonhomme capable de signer un gros chèque à un inconnu, histoire de lui montrer que la vie est belle comme dans un film de Capra. Cet inconnu, c’est Jean, un jeune type débrouillard, chauffeur de taxi plutôt bricoleur, un « bogosse » un brin titi parigot qui séduit immédiatement Salomon, le « roi du pantalon ». Ce qu’il a gagné dans le prêt-à-porter, cet ashkénaze fringant octogénaire et grand seigneur le redistribue, faisant « pleuvoir ses bontés sur tous les cas humains qui lui étaient signalés » via l’association SOS Bénévoles qu’il a fondé et qui occupe une partie de son appartement.
 
Jean devient son chauffeur privé, son ami et confident. Au cours de l’une des ses « missions », il découvre la relation trouble qui unit Salomon et Cora Lamenaire, jadis chanteuse réaliste à succès et aujourd’hui coquette sexagénaire, qui vit difficilement sa solitude et sa gloire éphémère passée. Bruno Abraham-Kremer virevolte d’un personnage à l’autre avec une joie communicative et une aisance époustouflante, magnifiant un texte tout en verve et en émotion. « On n’a pas idée de baiser une femme par pitié. J’ai dû me retenir. J’ai vraiment dû me retenir. Je ne l’ai pas baisée par pitié. J’ai fait ça par amour. Tu comprends très bien ce que c’est, Chuck. C’est par amour, mais ça n’a rien à voir avec elle. Oui, l’amour du prochain », l’une des répliques de Jean qui aurait pu être écrite pour un Gabin ou un Jouvet, et que Bruno Abraham-Kremer s’approprie avec son inimitable talent.
 
Quand Gary s’attaque aux cons dans son texte, le spectateur éclate de rire, emporté par la malice de Jean, qui explique par exemple comment il va faire preuve de générosité avec le concierge cerbère raciste et réac de l’immeuble où réside Salomon : J’avais de la peine pour lui et je faisais des trucs exprès pour le motiver, j’arrachais une baguette métallique de la moquette, je cassais une vitre ou je laissais la porte de l’ascenseur ouverte pour lui donner satisfaction. C’était un mec qui avait besoin d’assistance […] Il avait besoin de moi, il lui fallait quelqu’un de personnel à détester, parce que sans ça c’était le monde entier et c’était trop grand. Il lui fallait quelqu’un et quelque chose de palpable […] Quand j’ai compris que je lui manquais, je me suis à l’aider. J’ai commencé par pisser contre le mur dans l’escalier, à côté de sa loge. Il n’était pas là mais il m’a tout de suite reconnu quand je suis redescendu. Il m’attendait […] Je lui ai fait un bras d’honneur et je suis parti. Depuis, il me considère avec satisfaction…
 
Porté par la mise en scène qu’il co-signe avec Corine Juresco et par une scénographie efficace de Jean Haas, le comédien réussit une fois de plus à embarquer les spectateurs dans son univers. Gary lui va si bien… La belle bande-son de Mahdi Ahoudig participe aussi à la réussite du spectacle, qui nous laisse avec un parfum de tendresse, de bonheur et de nostalgie. Et de mandarines*, bien sûr.
 
Alain Granat
 
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Infos pratiques :
Théâtre Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris
Tél : 01.45.44.57.34

Du mardi au vendredi à 19h00, dimanche à 16h

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© photo : DR

Article publié le 15 mars 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop

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