Nous sommes nombreux à avoir récemment découvert l’extraordinaire série de documentaires courts que Sophie Nahum a réalisés, en filmant ses entretiens avec les derniers survivants français rescapés des camps de concentration et d’extermination.
Sophie Nahum, photo © Keren Ann
Ces court-métrages sont disponibles en ligne sur un site dédié. Longs d’une dizaine de minutes au maximum, d’accès totalement libre et gratuit, ils ont une valeur pédagogique unique. Sophie Nahum a donné à leur sujet de nombreuses interviews aux chaînes et media nationaux – et, également, 30 minutes d’entretien sur RCN 89.3, dans l’émission de l’AMEJDAM* « Au nom des enfants », que l’on peut réécouter ici. En janvier dernier, pour compléter ce travail impressionnant, est sorti le livre qui permet à ceux et celles qui hésitent à regarder ces témoignages si poignants d’en prendre connaissance en le feuilletant, petit à petit…
Il n’y a pourtant pas de rivalité entre ces media. Les films ne sont ni plus ni moins « vrais » que les écrits, dont il faut souligner la force, en raison de la qualité exceptionnelle de cet ouvrage, tant au plan de son contenu, que de sa conception. En effet, alors que les documentaires présentent les souvenirs des témoins dans leur continuité, entrecoupés par les questions de Sophie, et illustrés de quelques photographies familiales, le livre, lui, se décline en chapitres découpés en « séquences-temps ».
Après une introduction qui précise les raisons pour lesquelles Sophie Nahum s’est attelée à ce projet si essentiel pour nous tous, le livre se décline en neuf parties, qui suivent la chronologie globale des événements, depuis « Le basculement » jusqu’à l’ultime question, « Plus jamais ça ? », en passant par « L’arrestation », « L’arrivée au camp », « Le quotidien », « Les marches de la mort », « La libération », « Survivre », et « Parler ? ».
Ce choix éditorial, associé au remarquable travail de la maquettiste**, permet de suivre avec une grande clarté les traces individuelles de chaque témoin et de les confronter à celles des autres. De ce fait, on note bien sûr les différences entre leurs destins, mais surtout les nombreux points communs entre ces survivants. Par exemple, presque tous et toutes insistent sur le fait que « la chance » a joué un rôle essentiel à leur survie, sur la difficulté du retour à la vie « normale », sur le silence qui leur a été imposé si longtemps, et sur le désir (ou le non-désir) d’avoir des enfants…
Les chapitres sont illustrés avec délicatesse : on y voit des clichés d’un monde passé, de familles nombreuses et unies, d’enfants que l’on devine choyés, bien habillés, aux cheveux bien peignés ; de jeunes gens superbes et insouciants comme on l’est à vingt ou trente ans et, en dessous, des images montrant les belles personnes âgées que ces témoins sont devenus. Sur fond noir ou gris, parfois bordées de ce liseré blanc d’antan, ou semblables à des photogrammes, elles évoquent ces albums de famille perdus, pour un si grand nombre d’entre nous, dans la tourmente de la guerre. On y trouve aussi un ou deux gros plans de mains noueuses montrant un objet rapporté de « là-bas » : une gamelle trouée, une veste de détenu, une ceinture salvatrice : sans elle le déporté, occupé à tenir son pantalon au lieu de travailler, aurait été abattu… Sans oublier les fabuleux dessins de l’artiste Shelomo Selinger.
Chaque chapitre s’ouvre sur une phrase clef, insérée entre de gros guillemets, qui informe de son contenu. Chaque témoignage est lui-même précédé de manière très claire du nom du témoin qui parle. Chaque chapitre se clôt par quelques pages sur lesquelles des biographies sont imprimées en blanc sur fond noir. Et la citation de conclusion de l’ouvrage est la suivante, prononcée par Elie Buzsin : « Vous allez devenir le témoin du témoin que je suis, et c’est un rôle très important ».
Par son travail, Sophie Nahum est en effet devenue ce témoin. En regardant ses films, mais aussi en lisant ce livre, vous serez à votre tour dépositaire des témoignages des Derniers. C’est la raison pour laquelle il est indispensable de l’acheter, de le lire, de l’offrir, de le prêter, afin de faire connaître d’urgence au plus grand nombre les récits de ces survivants.
Cathie Fidler
* Association pour la Mémoire des Enfants Juifs Déportés des Alpes Maritimes
** Sébastienne Ocampo, des Éditions Alisio.
Commander Les Derniers, Rencontres avec les survivants des camps de concentration, par Sophie Nahum (Éditions Alisio, 19,90 €)
Cathie Fidler est écrivain, auteur de plusieurs romans parmi lesquels Histoires floues, La Retricoteuse… du livre d’art Hareng, une histoire d’amour, co-écrit avec Daniel Rozensztroch et d’un ouvrage consacré à son père, le peintre et céramiste Eugène Fidler « Eugène Fidler, Terres mêlées » (Les Éditions Ovadia). Son nouveau roman, Creuse la terre, creuse le temps (Éditions Ovadia) est à commander ici .
Gratitude, le blog de Cathie Fidler
© photos : Alisio / Keren Ann / DR
Article publié le 17 février 2020. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2020 Jewpop