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L'interview d'Avishai Cohen autour de son nouvel album "1970"

18 minutes de lecture

 
Avishai Cohen sort un nouvel album, « 1970 », projet entièrement vocal, accompagné d’un nouveau groupe qui sera à ses côtés à L’Olympia le 27 novembre. Jewpop a rencontré le contrebassiste israélien, qui se révèle irrésistible chanteur.
 
 
Jewpop : Avishai Cohen, chanteur pop avec « 1970 », vous vous êtes lancé un nouveau défi ?
Avishai Cohen : C’est terriblement excitant de chanter, et c’est exact, c’est un très grand défi aussi. C’est l’une des choses les plus difficiles à faire, parce que vous vous mettez à nu, et en public (rires) !
 
J : Vous vous sentez nu quand vous chantez, vraiment ?
AC : Chanter, ce n’est pas seulement chanter juste, avoir une voix… C’est être sincère, vrai. C’est quelque chose de très puissant, qui n’est jamais acquis, que vous ne pouvez jamais considérer comme un don, parce c’est fragile. La voix est intimement liée à la vie, à votre Moi, à ce que vous éprouvez. Alors définitivement, chanter, c’est ce qui vous expose le plus.
 
J : Vous en rêviez depuis longtemps ?
AC : Je crois, oui ! Mais je ne me rends compte de la « réalité » de mes rêves que lorsque j’arrive à les accomplir. Je n’ai pas le temps de douter, même si le doute est tout le temps là dans la création. Cet album, c’est un véritable événement pour moi, une déclaration. Quand Sony m’a contacté, je leur ai dit que la seule chose qui m’intéressait, c’était d’enregistrer un disque dans lequel je chanterai. J’avais vraiment envie de relever ce défi, même s’il m’effrayait. Mais chanter, je le fais depuis plus de 15 ans, et je chantais de plus en plus…
 
J : « 1970 » est un album pop, soul, superbement produit. Comment avez-vous collaboré avec Jay Newland (ndlr : producteur de Norah Jones, Gregory Porter, Melody Gardot…) ?
AC : C’était exactement la personne dont j’avais besoin. Concrètement, il était surtout là pour faire en sorte que toutes les chansons atteignent leur plus fort potentiel. Les musiciens avec lesquels je travaille et moi-même sommes habitués à être au meilleur niveau possible dans ce que nous jouons, notre groupe crée un environnement très fort, très motivant… mais l’élément du chant, c’est quelque chose que je ne pouvais maîtriser en studio sans l’aide d’un producteur. Et qu’on me produise, c’est un truc compliqué ! D’habitude, c’est moi… L’idéal pour « 1970 » était quelqu’un comme Jay. C’est mon aîné, il a plus d’expérience, même si j’en ai déjà pas mal (rires). C’est un sage, très détendu, d’une rare gentillesse, et il a fait des choix vraiment justes au moment de la réalisation, c’est important !
 
J : Vous vous sentiez en confiance avec lui…
AC : C’est exactement ça.
 
 

 
J : Quelques mots à propos de Johnny Goldstein, qui coproduit et arrange avec vous deux titres de « 1970 ». Jewpop l’a interviewé il y a 5 ans, alors qu’il était venu présenter à Paris le projet dance-pop TYP, son duo avec Ivri Lider. J’avais découvert alors un très jeune producteur, élégant, drôle et extrêmement doué. Comment s’est produite votre rencontre ?
AC : Non ! Vous l’avez rencontré ? Johnny est incroyable ! Je l’appelle « Little Johnny » et je ne suis pas le seul, et pas uniquement parce qu’il est petit (rires), mais c’est drôle que vous me parliez de lui… C’est mon pianiste de l’époque, Shai Maestro, un merveilleux musicien, qui m’avait branché avec lui. C’était il y a dix ans… Shai devait alors être âgé de 20 ans et Johnny en avait peut-être 17, et il produisait déjà des groupes israéliens d’un super niveau. Il habitait tout près du village où je suis né. Un jour, je passe le voir, et on commence à travailler des trucs ensemble. L’un des morceaux sur lequel on bosse, c’est « Motherless child » ! J’étais en train de jouer un riff au piano, il l’a samplé. J’avais déjà plus ou moins l’arrangement en tête, et c’est devenu vraiment cool parce que le beat que Johnny a créé alors, c’était exactement le bon ! Un genre de groove cha-cha rock à la Santana qui collait à merveille ! C’est un « jeune punk », vous savez ! A great kid (en anglais dans le texte) ! On a aussi travaillé sur le titre « Blinded » ensemble. Et ça sonne ! Johnny est doué pour créer ce « son radio », alors que l’album a été enregistré live avec mon groupe. C’est ce son « fat », gorgé de soul, qu’il a apporté à ces morceaux. La touche « Johnny Goldstein », croustillante !
 
J : Parlons encore de vos séances en studio pour « 1970 », dans un studio parisien culte. Le Studio Ferber, où vous avez enregistré, est légendaire. Frank Zappa, Gainsbourg, Black Sabbath et tant d’autres y sont passés… C’était aussi le studio préféré du plus grand producteur de jazz français, Francis Dreyfus. Vous avez senti une âme dans ce lieu ?
AC : Dès qu’on est entrés, on a senti des vibrations ! Quel endroit ! L’équipe de Sony nous a emmené là-bas, avec Jay Newland, et on a adoré dès le premier instant, odeur de cigarettes compris (rires). J’ai pourtant pas mal bourlingué depuis les années 90, notamment à New York, dans des studios d’enregistrement mythiques, et je sais en reconnaître un quand j’arrive. Ferber est maintenant, de loin, mon préféré !
 
 

 
 
J : Nous évoquions tout à l’heure votre très belle reprise du standard gospel « Motherless child ». Votre chorus à la basse wha wha est vraiment magique…
AC : Merci, ça me touche vraiment ! Vous savez, c’est une chanson très dure, à de multiples points de vue. Quand on pense à ses origines, à l’histoire qu’elle évoque, celle dramatique des noirs américains, c’est quelque chose que j’ai évidemment voulu exprimer. Et en même temps je sentais que j’avais ma propre « Motherless child story ». Comme Juif, comme Israélien, comme musicien, comme être humain.
 
J : Ça fait beaucoup, non ?
AC : Oui ! Vous savez, parfois, je me sens noir américain… Je suis tellement influencé, imprégné de cet esprit « bluesy », lié par un sentiment de fraternité avec ce peuple maltraité, cela m’a sans doute mené au jazz plus que tout autre chose. C’est aussi ce qui m’a poussé, quand j’ai décidé d’enregistrer cet album de pop music, à penser soul et blues quand je chantais. Comme musicien, l’histoire des noirs américains m’a façonné.
 
J : Ce n’est pas propre qu’aux jazzmen…
AC : C’est vrai… Regardez comment les Beatles ont été influencés par la musique noire américaine, comme tant d’artistes pop et rock. C’est cette spiritualité de la musique noire, d’un si haut niveau, qui rend toutes ces musiques populaires si enthousiasmantes !
 

J : Les musiques latines ont aussi une immense importance dans votre parcours…
AC : C’est essentiel ! Je ne sais pas de combien de pour cent je suis fait, mais une bonne moitié est certainement latino (rires) ! J’ai vraiment eu de la chance. Avant d’arriver à New York en 1992, tout jeune musicien, avec la flamme et la volonté d’apprendre, de devenir bassiste, un de mes amis israélien, le grand batteur Ilan Katchke, m’a fait écouter des disques d’Eddie Palmieri. Je ne savais pas ce qu’était le Son Montuno*, j’ai juste pris une énorme claque ! C’était un vrai choc de découvrir cet univers, la manière dont ces sons étaient élaborés… Ça m’a provoqué le même choc que lorsque j’ai entendu Jaco Pastorius pour la première fois ! Dès que j’ai débarqué à New York, je me suis mis en quête de toutes les musiques qui me touchaient, le be bop, le hard bop, le funk… et évidemment les musiques afro-caribéennes. Et là, je vous assure, je suis tombé sur des putains de musiciens !
 
J : À commencer par Danilo Perez
AC : Oui bien sûr ! Mais déjà, avant de connaître Danilo, je rencontrais des types qui jouaient dans la rue. D’un niveau terrible ! De la rumba portoricaine, cubaine, des chanteurs et des congueros incroyables ! Avec tout le respect que j’ai pour les immenses musiciens que sont Danilo et Chick (ndlr : Corea), je parle ici de l’essence, de ces chanteurs qui t’interprètent un standard avec la clave**, c’est extrêmement fort. Il y a des génies dans les rues de New York ! Je me suis immergé dans cet univers, ça a modifié mon ADN, ma façon d’écrire la musique.
 
J : De jouer aussi ?
AC : Absolument, ça a tout changé dans ma vie ! Musicalement, je travaillais déjà sur des concepts rythmiques très éclectiques, mais les musiques latines m’ont permis de penser différemment, ça m’a construit. Sans la connaissance et la compréhension de ces musiques, je n’aurais pas été le même homme. Et puis côtoyer des artistes comme Eddie Palmieri, Jerry Gonzales, Andy Gonzales, étudier avec ce dernier, et puis jouer avec eux et finalement être accepté comme l’un des leurs, oui, ça a changé ma vie. Cette musique a tout ! Elle a le funk, l’Afrique, l’Europe…
 
J : « Vamonos Pa’l Monte » (ndlr : morceau d’Eddie Palmieri et Ismael Quintana) est l’un de mes titres favoris de l’album… Vous avez un vrai talent de sonero*** ! Après Ismael Quintana, on va vous surnommer Israel Quintana !
AC : Ah merci ! (rires) Et merci aussi de citer Ismael Quintana, c’est LE sonero ! Je l’admire tellement, je suis très loin de son talent et puis je n’ai pas son don d’improvisation… Mais chanter un chœur, c’est dans mes cordes ! Cette reprise, c’est ma façon d’exprimer mon plus profond respect et amour pour ce génie qu’est Eddie Palmieri. Je l’ai faite en cha cha, j’ai commencé par jouer la contrebasse, les choeurs arrivent puis le violoncelle qui double la contrebasse, et voilà ! Quand j’ai démarré ce projet et monté ce groupe, je me suis immédiatement dit « essayons ça ! ».
 

 
J : C’est un groupe exceptionnel qui vous accompagne sur ce disque et qui sera à vos côtés en tournée. Vous êtes toujours à l’écoute de ce qui se passe sur les scènes israéliennes ?
AC : Oui, j’écoute vraiment beaucoup de choses, j’essaie de me tenir le plus au courant possible ! Il y a tellement d’excellents musiciens en Israël… Mais en général, tout ce qui sort de bon, je ne passe pas à côté.
 
J : Vous interprétez trois chansons traditionnelles en hébreu dans « 1970 », c’était important, à côté des titres en anglais ?
AC : L’essentiel pour moi, c’était d’être sincère en interprétant ces chansons. Le test, pour choisir celles qui figureraient dans l’album, c’était d’écouter le résultat final et de me dire « ok, ça sonne ! ». Il n’y avait rien de préconçu, pas d’histoire à raconter avec un début et une fin, sinon un beau voyage plein de soul et de vérité, avec un esprit très groovy ! J’adore ça, je vis dans le groove !
 
AG : Pour conclure, la question Jewpop ! Est-ce que vous portiez un kova tembel**** quand vous étiez enfant ?
AC :  Laissez-moi réfléchir (rires)… En fait oui, maintenant que vous me le demandez, j’en suis sûr ! Vraiment merci d’avoir posé la question ! Vous savez, je suis à fond dans ce genre de délires (rires). Merci Jewpop !
 
Propos recueillis par Alain Granat
 
*Son Montuno : sous-genre musical du Son Cubano, le Son étant le genre musical principal de la musique populaire cubaine, source d’inspiration de la plupart des formes de danses latines et de la salsa
**clave : rythme originaire d’Afrique, qui sert de fondation à la plupart des rythmes des musiques latines
***sonero : désigne, dans la musique latine, un chanteur capable d’improviser.
****kova tembel : en hébreu, chapeau d’idiot, un bob de forme conique, emblématique des années cinquante, soixante et soixante-dix en Israël
 
Avishai Cohen a également signé la musique de la nouvelle comédie de Olivier Nakache et Eric Toledano, « Le Sens de la fête »
 
En concert à Paris à l’Olympia le 27 novembre 2017
En tournée en France  : 22/11/2017 à Aulnay Sous Bois, Espace Jacques Prévert, 24/11/2017 à Bordeaux, Orchestre de Bordeaux,
28/11/2017 à Pont- Audemer, L’Eclat, 29/11/2017 à St Martin des Chambs, Espace du Roudour,  30/11/2017 à St Malo, La Nouvelle Vague

 
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© photos : Andreas Terlaak / Roberto Manzi / DR

Article publié le 6 octobre 2017. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2017 Jewpop
 

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