Vous avez entendu parler de la bar mitzvah de Kerem (1), cette semaine, à Jérusalem ? Quoi, vous n’êtes même pas au courant ? C’était pourtant « la » bar mitzvah à ne pas louper, « The » bar mitzvah de l’année. On peut le dire : il nous a éclaté ! Pas de petit rabbin beau gosse, pas de location du Stade de France (ni du stade Teddy Kollek de Jérusalem), pas de Mariah Carey (ni d’Eyal Golan), non, mais une bar mitzvah de ouf ! Je vous raconte, bien sûr, puisque mon fils a eu la chance d’y assister.
Je vous imagine, derrière votre écran, vous disant « c’est bon, il va encore nous raconter une BM (2) de folie comme on en a déjà vu mille… » C’est vrai, les bar mitzvah (3) c’est un peu comme les films porno. Quand tu en as vu une, tu les as toutes vues… L’entrée du bar mitzvah sur une musique émouvante ou sur un rythme endiablé, le PowerPoint avec les photos du bar mitzvah quand il avait 3 jours, 1 mois, 6 mois, 2 ans, 6 ans (arrrrrgh…!), la chanson préparée par les copains et dont on n’entend pas le quart des paroles, enfin bref, vous savez aussi bien que moi à quoi ça ressemble.
Mais pour pouvoir « éclater » les invités, il en faut plus. « Quoi, Kevin Smadja a fait sa BM devant 200 personnes aux salons Hoche ? Même pas mal ! Nous on va faire 300 personnes aux salons Équinoxe. On va les éclater !!! ». Après, tout dépend des goûts de chacun. On peut aimer les tables avec les noms de rappeurs (la tête de Tata Suzy quand elle se retrouve à la table « Booba » !!!), l’invité-surprise de la bar mitzvah qui n’est autre que Steven ou Kimberley de Secret Story, ou la cousine qui interprète une chanson en anglais (et tu te demandes si elle rend hommage au bar mitzvah, ou si elle veut juste montrer comme-elle-chante-de-folie-elle-pourrait-faire-TheVoice). Moi, par exemple, quand c’est la bar mitsvah de mes neveux ou des enfants des copains, j’adore les PowerPoint, les chansons kitsch et les surprises de dernière minute… mais quand c’est des gens que tu connais moins bien, ça peut vite devenir… disons… éprouvant !
Le plus dérangeant, c’est surtout cette surenchère permanente… Un DJ avec 2 personnes ? Déjà vu. Un DJ 3 personnes + 2 danseuses ? Vu et revu. Un orchestre 6 personnes ? Classique… Un orchestre 9 personnes, 3 danseuses + un chanteur qui a fait La Nouvelle Star ? Bon on peut continuer comme ça encore longtemps, on a déjà tout vu, tout testé et – presque aussitôt – tout oublié.
Non, la bar mitsvah de Kerem, c’était autre chose. L’idée était la suivante : tous les copains de classe sont invités (c’est déjà un bon point !) à un après-midi dans le local d’une association pour enfants en difficulté. Habillés de leur plus belle tenue (T-shirts, shorts et baskets), chacun des enfants aura pour objectif de repeindre les locaux, débarrasser la cour et remettre un peu d’ordre dans tout ce bazar pour lui donner un coup de propre. Il semblerait que Kerem ait été bénévole dans cette association pendant l’été ; aussi, ses parents et lui ont eu envie de poursuivre l’expérience avec les enfants de la classe.
Je ne connais pas les parents ; peut-être sont-ils un peu « farfelus » ? Dans ce cas, ils ne sont pas les seuls de l’école puisque dans 2 semaines mon fils est invité à une autre bar mitzvah où il s’agira, cette fois, d’aller à la rencontre d’enfants handicapés et de passer un moment avec eux dans leur centre.
Ils ont de drôles d’idées parfois, ces Israéliens. Au lieu de nous « éclater » avec de la bouffe à profusion (dont la moitié au moins finira à la poubelle) et de la musique trop forte (dont la moitié au moins d’entre nous finira par enrichir les audioprothésistes à l’âge de 60 ans), ils nous « éclatent » spirituellement. Je dois aussi préciser que mon fils s’est bien amusé et a trouvé cette expérience très sympa. Pas besoin de s’endetter sur les 5 prochaines années, ni d’essayer de battre le record d’invitations. Ici, ils redonnent un sens à la bar mitzvah. Un sens spirituel.
Dans le cas présent, c’est à la fois une action très concrète et un message fort pour l’enfant : « Mon cher Kerem, maintenant que tu es un adulte, après avoir tant reçu dans ta jeunesse, il est grand temps d’apprendre aussi à donner. À rendre. À offrir. » Et cela, bien évidemment, ça n’a pas de prix.
Pierre Acher
(1) C’est un drôle de prénom mais c’est celui du bar-mitsva ! Je ne sais pas si c’est l’équivalent israélien de Hippolyte ou Anselme, en tous cas c’est un prénom peu usuel d’après ce que je comprends.
(2) BM est le petit surnom affectif que (presque) tout le monde emploie pour parler d’une bar-mitzva. Comme on dit “tef” pour les téfilines, “Syna” pour Synagogue ou “Jéru” pour dire Jérusalem. Ai-je besoin de préciser qu’en tant que vieux con, je reste encore attaché à la signification et au sens des mots utilisés ? Que ‘BM’ et ‘Jéru’ sont pour moi autant d’occasions de rabaisser ce que l’on ne devrait avoir de cesse d’élever ?
(3) Comme je suis sympa, je vous évite le terme “bar-mitzvoth”, plus correct grammaticalement, mais qui risque de laisser de côté bon nombre de lecteurs peu familiers avec la langue hébraïque.
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Article publié le 9 novembre 2017. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2017 Jewpop