Cette fois, il ne fut plus question de drame. Après les larmes du départ et le rush de l’arrivée, la priorité était bel et bien de rencontrer du monde. Et par monde, j’entends aussi désigner mes coreligionnaires du peuple-monde. En sage correspondante de Jewpop à Londres, je me suis attelée à trouver matière à dépeindre cette communauté juive londonienne.
Pourtant, avant même mon arrivée, je refusais catégoriquement de m’enfermer dans une quelconque communauté. C’est d’ailleurs avec beaucoup de dérision que je faisais défiler les annonces du succulent groupe Facebook « Jewish Flatshares in London ». Point question pour moi de vivre dans le Nord au-delà de la zone 1 et de fréquenter exclusivement des gens employant dans leurs annonces les mots : kosher, chabbat, ou encore tsniout.
C’est donc dans l’East End que s’est finie ma course : heureux mélange de banquiers de la City, d’east-londoners over-lookés et de musulmans sortant de la grande mosquée de Whitechapel. Il faut donc avouer que mes contacts avec la communauté juive de Londres se sont avérés inexistants pendant plusieurs jours, alors que je célébrais Roch Hachanah avec mes amis goys autour d’une pinte. Mais barukh hachem, j’habite dans un quartier que je me permettrai volontiers de qualifier de cool.
C’est à la journée des Fresher’s Fair, accueil et présentation des associations étudiantes aux petits nouveaux de l’université, que je découvris avec ravissement la Jewish Society, dont le stand était tenu par de très beaux représentants de la communauté. J’imaginais déjà le sourire de ma mère quand je lui annoncerais que je finirais peut être par sortir avec un juif, un jour. Mais je m’égare. À quoi ressemble un juif à Londres ? Telle est la question que je me suis posée.
En tant que première ville des français à l’étranger, Londres regorge de frenchies, et par là même, de jewish frenchies. Ceux-là répondent aux mêmes subtilités que les juifs français : diversité de point de vues, de degrés de pratique et d’engagement communautaire. En ce qui concerne les juifs anglais, il ne faut pas s’en faire une vision idyllique. La communauté juive londonienne n’est pas un havre de libéralisme et de tolérance. Tel est le revers du modèle britannique de laxisme envers les différentes religions, qui se voient autorisées à s’exprimer dans l’espace public. De même que j’évoquais dans ma précédente chronique le port du sthreiml dans les quartiers nord de Golder’s Green et Edgware, les croyants sortant de l’East London Mosque portent également leurs habits traditionnels. À l’université, voile et kippa sont autorisés.
Le communautarisme, à Londres, est tout ce qu’il y a de plus normal. C’est aussi cela, l’illusion du melting pot : tout le monde se mêle à tout le monde, mais chacun garde ses spécificités dans l’espace public et tend à marquer son terrain dans des quartiers tout entiers dédiés à une communauté particulière. Du coup, pour rencontrer des juifs, il faut aller au bout de la Northern Line, mais je suis trop snob pour ça. J’ai préféré me mêler à la Jsoc (entendez Jewish Society) de mon université. En réalité, les jewish societies étudiantes ne sont autres que les branches de l’Union of Jewish Students, version locale de notre UEJF national.
Les centres d’intérêts semblent être les mêmes : événements bon enfant, voyages en Israël et militantisme. Sur la fiche d’inscription, j’eus la possibilité de cocher le domaine d’activité qui m’intéressait le plus. Pour ma part ce fût « campaigns / political activism », mais ils semblaient également proposer « Self defence and/or security training ». Je n’en ai rien déduit parce qu’après tout, cela peut être utile. Mais j’attends de voir si les juifs d’ici vivent dans la même paranoïa que les français. Bien qu’il ne s’agisse pas pour moi de nier l’existence de l’antisémitisme, je me demande encore s’il est légitime de se sentir en danger partout, tout le temps (sauf en Eretz Israel bien entendu).
En ce qui concerne l’attachement à Israël, les gens de la Jewish Society se sentaient évidemment concernés mais je ne pourrais les situer sur l’échiquier politique. On m’a seulement donné un petit livret intitulé « Israel. Frequently asked questions », qui semblait déjà largement plus sérieux et bien moins subjectif qu’une lettre de l’Agence Juive. Mais c’est un autre débat. Laissons les chalouper sur du Carly Rae Jaspen.
Cindy Abitboule