Le compte est bon

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C’est ma 36e chronique. Un spécialiste de la guematria – méthode qui permet de calculer la valeur numérique des noms et mots hébraïques pour en tirer des conclusions totalement farfelues – t’expliquerait sans doute que je devrais en profiter pour arrêter. Le hic, c’est que le spécialiste de la guematria n’est pas mon ami.

 

Dimanche, pour la dernière fois avant Pessah, je suis de corvée pour amener ma mère faire ses courses. Avec le boucher, il y a cinquante ans, ma mère jouait aux billes à Belleville. Aujourd’hui, elle joue au chat et à la souris. Un coup je te drague, un coup je fais semblant d’être fâché.  Avec la file d’attente en public amusé, ma mère et le boucher se livrent donc à leur numéro bien rodé digne d’un mauvais épisode des Feux de l’amour.

Elle : « Mets-moi deux kilos de collier »

Lui : « Un collier de diamants … Ah les femmes… Y a 2 kilos 450, ça va ? Moi ça change rien. 2kgs, 2kgs 450… »

Elle : « Moi, ça change juste le prix à la caisse ».

 

Une conversation passionnante que je te raconte, ami lecteur, parce qu’en plus d’y avoir assisté en live –  avec autant d’intérêt qu’un téléspectateur juif devant l’émission religieuse du dimanche matin des bouddhistes –  j’ai droit à « on refait la conversation dans la voiture », à base de « tu te rends comptes », « combien il m’a dragué celui-là, j’ai jamais voulu, t’as vu sa tête ».

 

Garée en triple file, je regarde mes coreligionnaires s’affairer d’épiceries en boucheries casher avec en fond sonore la radio, et les derniers détails sur l’attaque de la synagogue d’Argenteuil et le coup de filet islamiste à Cannes et Strasbourg. Tel un frère Karabatic, je mettrais bien un billet de 1000 € sur « quel est notre avenir en France ? » comme top conversation à la synagogue pendant Simhat Torah.

 

Ma mère re-rentre dans la voiture toujours en boucle sur son histoire de 2kgs 450, mais cette fois-ci au téléphone avec mon frère Eric, qui évidemment, de sa terrasse de Raanana, doit avoir une explication très rationnelle à ses 450 grammes. Mon frère Eric est très branché guematria. En fonction de ça, il choisit tout (le prénom de ses enfants), mais aussi n’importe quoi (la date d’achat d’une voiture). Découvrir la guematria lui a fait le même effet que lorsque Bernadette Soubirou a vu la vierge dans la grotte, ou quand Betty a découvert le site Vente-privée : sa vie a changé. Il nous a bassiné des heures, se baladant  avec un stylo et un bloc au bout de ses tsitsits.

 

Il s’est calmé un peu quand mon frère Stéphane lui a rétorqué : « J’ai joué le 26 hier à Enghien, j’ai rien touché. C’est une arnaque ton truc »

 

Il a arrêté d’en parler définitivement quand mon père, un jour qu’il se relançait dans ses calculs, lui a asséné « Moi je crois que la valeur numérique de ton prénom en hébreu est la même que celle de ‘Ferme ta bouche ’ ».

 

La plupart du temps, les mecs qui mettent de la guématria partout me font penser à des apprentis sorciers niveau CM2 qui font de la physique quantique. Tu les laisse faire, l’œil perplexe en te disant intérieurement :

– Combien de temps ça va durer cette démonstration ?
– Où veut-il en venir ?
– Ah bon ? 12 et 15 ça fait 23. Personne me dit jamais rien à moi.
 
Un soir que je dinais avec David P. dans une pizzeria casher, et qu’il me reprochait encore d’avoir voté François Hollande, le serveur s’était approché de moi avec l’œil du mec qui a resquillé la file d’attente pour voir la femme à barbe.
 

« Vous avez voté François Hollande ? » me dit-il regardant de droite à gauche, la main sur sa joue se mordant la lèvre inférieure en signe de douleur. « Mais comment vous avez pu ? Vous savez que le mot Hollande, en hébreu הולאנד, a une valeur numérique de 96. C’est le même résultat que pour le mot כלום (kloum) qui signifie en hébreu rien« . S’appuyant sur notre table, il s’est baissé pour conclure, « alors que סארקוזי, Sarkozy a la valeur numérique de 384 ».

David P. : Ah ouais c’est vachement plus.

Moi : Super, on nage en plein concours de quéquettes.

 

Le serveur  s’est relevé d’un coup. Ne me jetant  plus un regard, (Il faut dire que parler de quéquette équivaut pour lui à entendre « vous ne faites pas de pâtes carbonara. Ok,  je vais prendre des tagliatelles aux crevettes »), il a conclu à l’attention de David P. « 384 qui a la valeur numérique de l’expression Vehou Hanassi, נשיא והוא  qui signifie « et c’est lui le chef ».

Pendant que David P. frappait dans ses mains « DE – MONS – TRA – TION – MA – GIS – TRA – LE ! », j’ai respiré un grand coup en ouvrant le menu à la page 3 et en disant :

« Gratin, y a qu’un seul T. Et ce mot-là… J’imagine que c’est tiramisu ? Non je vous dis ça parce que quand on lit correctement, on est plus proche du nom d’un charnier en Roumanie. Alors, ok, le compte est bon. Par contre pour les lettres, faudra repasser. »

 
 
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
 

 
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