Dimanche, anniversaire en famille, ma nièce Lili : « Tata, tu l’as connu comment Simon ? » « Sur JSwipe ma chérie» « C’est quoi Chissouaype ? » « C’est le Tinder juif » « Mais non c’est KINder tata » « Oui voilà c’est pour trouver sa friandise casher » « Tu préfères lesquels toi ? » « Les Bueno ou les schokobons, les surprise je n’aime pas, on est souvent déçu par ce qu’on trouve à l’intérieur, il manque parfois le mode d’emploi et c’est inutile à part si on fait une collection » « Tata, c’est quoi cette bouteille de lait ? »
Flashback un an plus tôt, il est 23h, tu es en mode Bridget : tu as passé ton samedi soir seule en pyjama – chaussettes, tu finis une série sur Netflix en te gavant de noix de cajou. Sur le marché de l’amour, tu es au chômage depuis trop longtemps et tout le monde te conseille de vivre avec ton époque, à savoir essayer les applis de rencontre. Oui parce que dans la vie tu n’as que des amis qui sont soit (rayer la mention inutile) :
– Toujours les mêmes
– En couple
– Gays
– Moches (enfin, pas un physique facile)
– Pas d’accord pour sortir avec toi
Ta mère, ce lapin Duracel des remarques vexantes, t’épuise mentalement « Moi à ton âge, j’étais enceinte de ton petit frère » « Tu sais ma fille, l’horloge biologique elle tourne vite » La mère de ma meilleure amie : « J’aimerais bien être grand-mère si tu vois ce que je veux dire » (On voit TOUJOURS ce qu’elle veut dire) Une autre mère juive lambda « Miskina, tu es encore seule à ton âge, qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ? » (À prononcer avec la voix de Mémé Sarfati). NDLR : idées de parades à ces reproches incessants : « Maman, la cryogénisation d’ovocytes marche à merveille » « Et toi la maison de retraite tu y penses ? » Ou « Je suis lesbienne maman, mais ne t’inquiètes pas elle est juive » Ou si vous avez l’humour glauque : « J’ai dû avorter c’était tonton le père ».
Tu cèdes par dépit et tu te renseignes autour de toi : Tinder « Oui si tu cherches un plan Q » Non. Happn « C’est bien mais pas assez efficace » Jcrush « Il n’y a pas autant de monde que sur JSwipe » JSwipe « Oui » JSwipe, application pour smartphone qui nous vient d’Angleterre : J pour le petit côté Juden et To Swipe en anglais : interagir avec un écran tactile en déplaçant rapidement son doigt sur celui-ci. Aussi étonnant que cela puisse paraître pour une application juive, c’est gratuit ! « Tu sais, elle s’est inscrite dessus et elle a trouvé son futur mari direct !» Tu ne sais pas encore pourquoi mais tu sens que pour toi, ce ne sera pas si simple… L’aventure commence !
Comment faire son CV JSwipe
Première étape cruciale : les photos ! C’est simple, c’est comme pour un CV ou pour le maquillage : ce n’est pas mentir, c’est mettre en valeur ses plus beaux atouts en travestissant un chouïa la vérité : tu sors tes plus belles poses, celles où tu es bien éclairée, bien maquillée, bien bronzée, bref l’opposé de toi en ce moment avec les kilos des chocolats, les boutons, la blancheur et l’éclairage au néon du bureau… Ton niveau de religion : Just Jewish (J’aime le « Just » comme si c’était easy d’être Jewish). Tranche d’âge : 24-37 #BrigittePowaaa, localisation : pas plus de 20€ en Uber.
Au départ, c’est grisant ! Tu fais défiler les photos de Jonathan, David ou Kevin, et tu choisis : oui ou non, left or right. À gauche tu jettes, à droite tu gardes. Photo torse nu et moue narcissique : LEFT, photo avec une autre fille qui n’a pas l’air d’être sa sœur : LEFT, pas de photo : LEFT, conservative-orthodoxe, grosse barbiche et photos en yeshiva : LEFT, photo avec Marine Le Pen : LEFT, photo en voyage : RIGHT, photo qui a l’air conforme à la réalité : RIGHT, pas d’amis en commun : RIGHT. Le commentaire en dessous de la photo, aussi important : « Envi 2 trouvé ma mouatié » : LEFT .« J’ai 42 ans et pas 27 comme c’est marqué » : LEFT. « Pas juif mais les juives me font délirer » LEFT. « On dira qu’on s’est rencontré dans un club libertin » LEFT (ou RIGHT finalement).
Si la vie pouvait être aussi simple : par exemple, au bureau, votre boss énervé arrive sur vous sourcils froncés : LEFT ! Un collègue vient avec des chocolats : RIGHT ! Le stagiaire a une rhino-pharyngite mais tient à vous faire la bise : LEFT ! Un homme musclé torse nu en jean qui boit du Coca light sur l’échafaudage : RIGHT !
It’s raining men
JSwipe c’est bien fait, on ne peut se parler qu’à partir du moment où on s’est choisi tous les deux (on évite le harcèlement)… Et là, ce moment magique quand tu « matches » avec un garçon, un « Mazal Tov » s’affiche avec le petit visuel d’un petit bonhomme qu’on porte sur une chaise… Ton égo sautille de joie aussi, tu es dans le game !
Maintenant, place à l’entrée en matière, tu attends qu’il te parle (c’est ton côté « vieille France »). Et tu te rends vite compte que ce n’est pas évident. Outre le traditionnel « Salut ça va ? » et son cousin du nord « Slt sa va toua ? », ça peut vite partir en cul-de-sac « Oui très bien et toi ? » « Très bien merci » direction le triangle des Bermudes amoureux. Et pour d’autres, la magie prend tout de suite avec une question comme « Super jolie ! Tu as passé une bonne journée ? » ou plus original «Pkaïla ou Gefilte Fish ?». Enfin il y a les perles kamikazes « Petite minute coquine : je suis curieux de savoir ce que tu sais faire avec de si jolies lèvres et une bouche aussi sensuelle » « Hey Myriamouche ça gaze ? » « Salut ! Tu cuisines bien ? »… (Observons une minute de silence pour toutes ces approches suicidaires).
Save the date !
Après une discussion virtuelle, vous convenez d’un « date » ou d’une date (c’est selon). Un bar pour boire un verre (un dîner tu risques la prise d’otage). Dans ta vie tu travailles dans les Ressources Humaines, et là tu te rends compte que tu fais de nouveau passer des entretiens d’embauche, déformation professionnelle « Est-ce que tu peux me décrire ton parcours ? » « Qu’est ce qui te différencie des autres finalement ? » à la François l’embrouille au speed-dating « Des antécédents médicaux Séverine ? » « Est-ce que tu as des caries Séverine ? » « Un animal de compagnie Séverine ? » regard lubrique du garçon en face « Oh j’aimerais trop passer un entretien avec toi » NEXT tu tiens au moins l’heure réglementaire pour ne pas paraître trop rude. Moment de l’addition, tu fais comme dans « How I met your mother », la check dance ! Tu sors ton portefeuille et tu attends que l’homme te dise façon grand seigneur « Non laisse c’est pour moi » « T’es sûr ? » « Oui c’est bon » « Merci » (La prochaine fois on parlera du dialogue politiquement correct du cadeau « Mais non fallait pas » « Oh mais ça me fait plaisir d’offrir » « C’est adorable merci beaucoup, comment tu as su que c’était ce que je voulais ? »).
Et tu retournes sur l’appli : c’est reparti, gauche droite, gauche droite, tou tou you tou tou tou you tou… Swipe left, Swipe right, and now the Boogie Woogie ! A défaut de mon fessier, mon index se muscle. Ça en devient trop facile, gauche, droite. Tu as des raisonnements vaseux « Bon lui il est moche mais c’est peut-être l’homme de ma vie, sa beauté intérieure doit être immense » « Je ne sais pas quoi mais il a quelque chose d’intelligent dans son regard » mon pote Samuel « Moi je matche toutes les filles sans regarder et après je fais le tri » « Faut brasser large pour pêcher de la bonne truite » Classe. Et tu enchaînes les dates et tu racontes encore et encore ta vie tel le commissaire Bialès « Né le 25 juillet 1950 à Oran en Algérie, d’une mère artiste de variété et d’un père gendarme ». Soit tu n’accroches pas, soit il ne succombe pas à tes charmes, soit c’est comme pour les divorces par consentement mutuel. À un moment, tu t’y perds et tu as limite envie de faire un tableau Excel pour t’y retrouver, avec comme colonnes : prénom / âge / métier / niveau religieux / taille (dans le sens hauteur hein petits coquins !) / mère envahissante ? / générosité / sourire / largesse d’esprit.
Sorry seems to be the hardest word
Et comme au bureau, les réponses négatives c’est rarement évident « Malgré l’intérêt que présente votre candidature, nous sommes au regret de ne pouvoir y donner suite mais nous conservons votre dossier pendant six mois avec votre accord » la même version pour les rencards « Ecoute, je te trouve génial mais j’ai pas eu de feeling » on évite les « T’es exceptionnel mais je ne te mérite pas » ou encore « On peut rester amis » « C’est une question de timing finalement toi et moi, si on s’était connu au XVIIIème siècle ça aurait pu marcher » et dans l’autre sens, s’attendre à recevoir des messages de refus, comme dirait Marco « On ne peut pas plaire à tout le monde ». Le florilège sélectionné pour vous amis lecteurs « Myriam t’es super mais voilà ce n’est pas facile à dire : je te trouve trop ronde sinon tout le reste j’adore » (véridique !), ou encore « En fait je ne te l’ai pas dit hier mais je suis marié, bon j’ai 2 enfants aussi, est-ce que ça change quelque chose ? » et enfin, le phénomène à la mode : Le GHOSTING ! Mais qu’est-ce que c’est ? C’est une disparition programmée, plus aucun indice de sa vie sur terre, bloquée sur Facebook, sur Insta, par téléphone, etc. Pas de message d’excuse, rien ! Juste plus aucune nouvelle du jour au lendemain…Docteur, je me sens un peu vaporeuse ces derniers jours…
Mais parfois, comme un rayon de soleil au milieu d’une tempête, comme une fraise Tagada dans une salade de fruits, comme un café serré après une nuit blanche, comme un ouragan qui passait sur moi, il est là ! La rencontre qu’on a failli annuler, ou celle sur laquelle on ne mettait que peu d’espoir se révèle finalement être LA rencontre. Et telle Cendrillon « Et si toooon cœur à l’âme en peine, il faut y croire quand même, le rêve d’uuune vie c’est l’aaaamour », le prince charmant se présente, il n’est pas forcément comme dans nos rêves mais ça le fait, l’alchimie prend… Il a de grands yeux bleus, le regard pétillant, un sourire Colgate, des muscles saillants… Et en plus : Il parle ! Il est caustique et encore plus important : il me trouve drôle ! Tu n’aurais jamais pensé trouver un ashkénaze chaleureux (oxymore de la mort). Un CDD ? Un CDI ? Dieu seul le sait ma fille… Mais enfin un candidat qui a les compétences adéquates. Comme Boucle d’or, tu le trouves ni trop beau, ni trop moche, ni trop jeune, ni trop vieux, ni trop riche, ni trop pauvre. Il est parfait !
Ta mère « Il fait quoi dans la vie ? Il est religieux ? Il est sérieux ? » Réponses attendues « Dentiste / Traditionnel / Oui » Mauvaises réponses « Gogo Dancer / Bouddhiste / Non »
Et enfin, l’étape ultime dans cette nouvelle relation de couple 2.0 : Supprimer l’appli JSwipe de son téléphone ! Avant, c’était se mettre « en couple » sur Facebook, mais maintenant presque tout le monde a compris que c’était le meilleur moyen de recevoir le pire coup de pression de la terre « Mazal Tov ! A vos fiançailles SDV* » « Quel beau couple ! Tu nous le présentes quand ? » « Réservez Le moulin brûlé dès maintenant ! » (je déclare ces commentateurs qui se reconnaitront l’espèce la plus lourde de la terre et je ne parle pas de poids… Quoique…).
Finalement, après avoir bu des Monaco à tire-larigot dans d’innombrables bars parisiens, tu es enfin heureuse d’avoir trouvé celui qui te correspond. Et ce qui est drôle, c’est que ce matin, je croise une amie que je n’avais pas vue depuis quelques temps « Hey Myriam ! Ça va ? Tu n’es plus avec ton mec ? » « Si pourquoi ? » « Oups, je l’ai vu sur JSwipe hier soir ! ». Jswipe m’a tuer !
Myriam Berdah
*Si Dieu veut
Lire la chronique de Myriam Berdah « I huile survive » sur Jewpop
© visuels : « JSwipe m’a tuer » création Laure Strauss / copies d’écran JSwipe / DR
Article publié le 25 janvier 2018. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2018 Jewpop
Rien à ajouter, c’est d’une justesse absolue, et tellement raconté avec humour ! Bravo !
Merci beaucoup ! C’est adorable !
Excellent ! Et tellement bien écrit ! Dans notre génération où la langue française est tellement maltraitée, ça fait du bien. Merci.
Tu as oublié de mentionner les rencards avec le sacrilège du rencard avec un non juif sur jswipe. 😉
Tu gères Myriam.
Je te « right » 🙂