Après la guerre, nombre de criminels de guerre nazis ont réussi à échapper à la justice. Beaucoup sont partis pour l’Amérique du Sud. Mais il existe une autre destination, restée dans l’ombre jusqu’à aujourd’hui : le Moyen-Orient.
Grâce notamment à un accès inédit à des archives des services secrets d’Allemagne de l’Ouest (BND) et à d’autres sources internationales, ce documentaire de Géraldine Schwartz, journaliste basée à Berlin collaborant avec Le Monde, le magazine XXI et les chaînes Arte et France Télévisions, révèle qu’après la guerre, des dirigeants arabes en Egypte et en Syrie ont recruté plusieurs centaines d’anciens nazis et SS.
Ces anciens serviteurs du Reich ont contribué à reconstruire leurs armées et leurs services de renseignement pour les aider à combattre Israël. Certains anciens collaborateurs de Joseph Goebbels ont même apporté leur « savoir-faire » en matière de propagande. La réalisatrice a pu reconstituer leur exil depuis Rome, plaque tournante des nazis en cavale. Parmi eux, Walther Rauff, l’un des logisticiens de la Shoah qui a coordonné le déploiement de camions à gaz dans l’Est de l’Europe pour exterminer les Juifs. Rauff organisera, avec l’aide de l’évêque Alois Hudal et sous le nez du Vatican et de la Croix-Rouge internationale, l’exil vers la Syrie d’une cinquantaine d’anciens nazis. Dont Franz Stangl et Gustav Wagner, chefs des camps d’extermination de Sobibor et de Treblinka.
Au Caire, grâce à des témoignages inédits, le film suit la trace de plusieurs d’entre eux : comme Artur Schmitt, général-major de l’Afrikakorps recruté par la Ligue arabe. Ou Gerhard Mertins, ancien Waffen-SS, trafiquant d’armes et spécialiste des combats de guérilla, qui sera plus tard impliqué dans la secte néonazie « Colonia Dignidad » au Chili. En Egypte, le film retrace également le parcours de Johann von Leers, un ancien expert de la propagande nazie recruté parmi d’autres sous Nasser. Antisémite fanatique, Von Leers avait travaillé sous le Reich avec le Grand Mufti de Jérusalem à un rapprochement idéologique du national-socialisme et de la religion musulmane.
Ces activités d’anciens nazis au Moyen-Orient suscitèrent en secret des tensions diplomatiques entre la Grande-Bretagne et la République Fédérale d’Allemagne. L’ancienne puissance coloniale craignait pour son influence en Egypte, tandis que comme le révèle le film, dans le dos de Bonn le BND recrutait certains de ces hommes pour mieux s’implanter dans la région. Tels Gerhard Mertins et Johann von Leers et plus tard, Walther Rauff.
Mais les services secrets allemands ne sont pas les seuls à s’être ainsi compromis. En revenant sur leur parcours au Moyen-Orient, le documentaire apporte de nouvelles preuves de l’impunité dont ont bénéficié de nombreux nazis. Longtemps encore après la guerre, en Europe et ailleurs, les institutions politiques, religieuses et judiciaires censées les poursuivre ont brillé par leur inertie. Beaucoup d’anciens responsables nazis ont été protégés, voire même recrutés par des États, des entreprises et des services de renseignement de tous bords.
Géraldine Schwarz souligne que «l’un des défis de ce film a été tout d’abord de recueillir des informations sur cette histoire dont il existe quelques traces ça et là, mais qui n’a pas encore été écrite». Après avoir retrouvé les quelques rares historiens qui travaillent sur ce sujet, surtout en Allemagne et aux États-Unis, la journaliste a mené sa propre enquête, accédant à la source la plus inédite, les archives des services secrets allemands. Soulignant combien il est rare et difficile d’avoir accès aux archives de services de renseignement de manière générale, Géraldine Schwarz explique que ces documents lui ont permis de retracer le profil, le parcours et les zones d’activité des anciens nazis au Moyen Orient. Mais elle note que «le film ne serait pas devenu ce qu’il est si je n’étais pas allée enquêter sur place, en Egypte. J’ai déniché les derniers témoins de cette époque, qui n’avaient jamais été interviewés à ce sujet auparavant.»
Pour la réalisatrice, «la plus grande difficulté de ce film était de rester le plus juste possible sur le thème épineux des relations entre régimes arabes et anciens nazis dans les années cinquante. Pour comprendre la complexité de ces liens, il faut absolument les placer dans le contexte de la guerre froide, du conflit israélo-arabe et de la décolonisation. Mais ce que révèle ce film, c’est que les liens entre monde arabe et nazis, noués sous le IIIe Reich, ont continué après la guerre. Et par conséquent, l’influence que ces contacts ont pu exercer ne se limite pas à la parenthèse superficielle du temps de la guerre.»
Propos recueillis par Alain Granat
Exil nazi : la promesse de l’Orient, de Géraldine Schwartz, une production Artline Films, avec la participation de France Télévisions, de la RTBF et de la Chaîne Histoire (52’), diffusée sur France 5 dimanche 4 mai 2014 à 22h30, dans le cadre de La case du siècle.
© photos : Artline Films, DR
Article publié le 30 avril 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop