« Haïm, à la lumière d’un violon » est un spectacle musical hors-norme. L’histoire d’une vie et d’un destin, celui de Haïm Lipsky, violoniste virtuose originaire de Lodz, en Pologne, âgé aujourd’hui de 90 ans. Une histoire exemplaire, où le pire et le meilleur de l’humanité se croisent, et qui se conclut sur des notes emplies d’espoir et de joie.
Originaire d’une famille juive ouvrière de Lodz, Haïm Lipsky possède un don. Le benjamin de cette famille de sept enfants, dès l’âge de deux ans, est capable de mémoriser immédiatement les mélodies qu’il entend, celles des nigounim, ces chants improvisés par les hassidim lors du shabbat, comme celles jouées par les musiciens klezmer qu’il admire tant. Malgré la pauvreté qui règne au sein de la famille Lipsky, ses parents s’endettent pour lui offrir une mandoline, sur laquelle Haïm égrène ses premières notes. Viendra ensuite un premier violon, acheté 10 zlotys (une fortune !) par l’enfant, qui a économisé sou après sou pour s’offrir l’instrument qui le fascine.
Lorsque la famille, après des années de labeur, parvient à s’installer dans un quartier bourgeois de Lodz, là où résident les catholiques polonais, le jeune Haïm profitera des leçons de solfège prodiguées par un voisin pianiste, séduit par la passion de l’adolescent, promis à un avenir de musicien classique virtuose. Vient la guerre, les persécutions nazies, le ghetto de Lodz puis Auschwitz, où Haïm Lipsky survivra miraculeusement près de deux années, jouant dans « l’orchestre » du camp d’extermination. Il réussira à s’échapper lors de la marche de la mort, sera ensuite caché par une allemande, avant de rencontrer la femme de sa vie et de faire avec elle son alyah en 1948.
Comment retranscrire l’histoire d’une vie où la musique, essentielle, est source de bonheur, mais aussi permet de survivre ? L’oratorio théâtral créé par Gérald Garutti réussit cette gageure, en évoquant admirablement le yiddishland et ses trésors perdus, mais également l’innommable. Grâce à un récit à 5 voix, où celle, bouleversante et pudique, de la comédienne Anouk Grinberg, fait contrepoint à celles de 4 musiciens d’exception.
Anouk Grimberg, impressionnante, au timbre de voix inimitable, dont les cassures évoquent merveilleusement cette vie que la barbarie nazie a voulue briser, fait penser au Charlot du Dictateur. A la fois frêle et pudique dans son gilet et pantalon masculin, en fusion totale avec ses complices musiciens, elle n’est plus récitante, mais conteuse. Autour d’elle, les 4 musiciens sont également en « tenue d’époque », gilets et pantalons à pince, robe noire et escarpins à boucle pour la pianiste.
On est d’abord ébloui par la virtuosité du jeune violoniste. Bon sang ne saurait mentir, il s’agit du petit-fils de Haïm Lipsky, Naaman Sluchin, qui fait une carrière internationale (comme les deux enfants et plusieurs petits-enfants de Haïm Lipsky) et dont l’interprétation sur scène du célèbre concerto pour violon en mi mineur de Mendelssohn soulève l’enthousiasme.
On l’aura compris, la morale de cette histoire, c’est que la vie est plus forte que tout (Haim signifie « vie »en hébreu) et que la transmission est au coeur de l’existence du héros de ce récit. Aux côtés de Naaman Sluchin, l’excellente pianiste et concertiste roumaine Dana Ciocarlie, et les très talentueux Alexis Kune (accordéon) et Samuel Maquin (clarinette), que les amateurs de klezmer connaissent bien sous le nom des « Mentsch ». Lorsque le quatuor, alternant avec des duos ou solos, interprète des airs traditionnels du répertoire klezmer, des oeuvres de Chopin, Bartok ou encore de Léonard Bernstein, la musique prend la parole pour exprimer ce qu’on ne peut dire.
Et lorsqu’ Anouk Grimberg raconte qu’à sa sortie d’Auschwitz, « Haïm Lipsky ne parle plus que deux langues : le yiddish et le silence », on comprend qu’une troisième langue, vitale, reprendra ses droits : la musique. Elle emplit littéralement l’esprit du public, qui ressort de ce spectacle bouleversé et heureux.
Arielle Askienazy
Création : Compagnie C(h)aracteres
Ecriture et mise en scène : Gérald Garutti
Avec Anouk Grinberg (récitante et collaboration artistique) et les musiciens Naaman Sluchin (violon), Dana Ciocarlie (piano), Les Mentsh : Alexis Kune (accordéon) et Samuel Maquin (clarinette)
Représentations
Jusqu’au dimanche 3 juin 2012
Les samedis et dimanches
Samedi à 15h : le 21 avril.
Dimanche à 20h30 :
Tous les dimanches jusqu’au 3 juin, sauf les 22 avril et 6 mai.
En semaine à 21h30 :
Représentations exceptionnelles les mercredi 2, jeudi 3 et vendredi 4 mai 2012
Vingtième Théâtre
7, rue des Plâtrières 75020 Paris
Métro Ménilmontant ou Gambetta
Réservations : 01 43 66 01 13
Renseignement : www.characteres.com ou www.vingtiemetheatre.com
Photo copyright : Ludovic Perrin