Quatre années de travail passées à visionner des images d’archives de Serge Gainsbourg – « eïn sof » (sans fin, infini) dira Pierre-Henry Salfati – à choisir, à renoncer (car choisir, c’est renoncer), pour aboutir à un petit miracle de poésie, à ce véritable tour de force qu’est « Je suis venu vous dire… »
Encore un film sur Gainsbourg ! Sans doute est-ce la réaction que l’on pourrait avoir, mais dès les premiers instants de l’œuvre, on comprend que l’expérience va être particulière, étrangement troublante. C’est d’abord une voix venue d’outre-tombe, comme sortie du néant, que l’on entend, une voix parasitée par des cris : « se concentrer sur soi-même et son non-être […] ne pas se faire bouffer par son non-être ». Puis la lumière qui jaillit en multitude au-delà de la scène, dans le public d’un concert de Gainsbourg…
Saisissante, cette autobiographie scénarisée de Serge Gainsbourg, Lucien Ginzburg se racontant et racontant l’autre, son Hyde. Saisissant, cet éclatement de la narration ; l’image racontant autre chose que le son, les chansons choisies sans rapport à leur chronologie mais pourtant adaptées au propos. C’est que Gainsbourg est un artiste, c’est-à-dire qu’il porte en lui l’ensemble de son univers dès sa première œuvre, qu’il transcende passé, présent et futur, pour s’inscrire dans l’instant et créer et recréer inlassablement.
Pierre-Henry Salfati a réalisé un film à son image, un homme prisonnier de miroirs, de reflets, voyant les autres à travers le carreau d’une fenêtre, perdu et isolé, fait de retours sur soi, de fuite vers l’absolu. Un film qui devient vertigineux lors d’une séquence fictionnelle qui montre les retrouvailles rêvées de Gainsbourg/Ginzburg avec son père ; cette séquence justifie à elle-seule l’achat de la place de cinéma.
Voulu comme « un hommage sans dommage », « Je suis venu vous dire… » est bien plus : non pas encore un film sur Gainsbourg, mais « enfin un film sur Gainsbourg ».
Jonathan Aleksandrowicz
La bande-annonce de « Je suis venu vous dire… »
Après la projection du film, Pierre-Henry Salfati a répondu à nos questions :
Qu’est-ce qui est à l’origine du film ? Qu’est ce qui vous a donné envie de l’écrire ?
Gosse, j’ai volé tous les disques de Gainsbourg. Je me souviens de la culpabilité en sortant de ces boutiques. La culpabilité s’est vite évaporée, mais j’ai toujours eu envie de faire quelque chose en échange. Pas de dette à payer, juste une sorte de « merci Serge ».
Dans le film, vous accordez une grande part à son enfance.
Je voulais le découvrir à la recherche de ses fêlures intérieures, le surprendre en quête de ses failles affectives. Je ne l’ai moi-même jamais interviewé, mais j’ai remarqué que les trois-quarts de ses interviews tournaient autour des mêmes sujets.
Après presque trois ans de recherches, je suis tombé sur des documents beaucoup plus touchants. Il pousse ses introspections beaucoup plus loin. On l’entend évoquer son rapport presque perpétuellement «raté » à son père, celui délicat à sa mère qui aurait même raté son avortement le concernant.
Il se découvre par petites touches introspectives, comme un perpétuel looser magnifique, qui, parce qu’il aurait toujours tout raté – à part Charlotte et Lulu -, la peinture, l’architecture, la littérature, ses couples… se serait auto-flagellé en composant plus de six cent titres !
Est-il pour vous l’archétype de l’artiste, un nom commun, et plus un nom propre ?
Oui. Gainsbourg est devenu un nom commun, voire un nom peu commun. En fait, le véritable homme, c’est Ginzburg. Alors, c’est l’archétype de l’artiste, mais plus encore, du juif. Juif errant toujours à fuir « fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve ». Il dit à un moment « les arts mineurs vont niquer les arts majeurs » : c’est Le Juif avec le sujet du tîqûn (réparation en hébreu), par la petite porte. C’est même l’idée teshouva, le retour sur soi. Il y a un autre ? Accepte-le.
Interview réalisée par Jonathan Aleksandrowicz pour Jewpop
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Article publié le 15 février 2012. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2016 Jewpop