Dimanche 6 mai. Telles deux copines qui font tapisserie sur les banquettes en skaï rouge d’une boîte de nuit de province, la France et moi, attendons notre alternance.
Elle, partagée comme à chaque fois, minaudant devant le challenger qu’on attendait pas et un ex, qui ne comprend pas pourquoi elle veut faire un break après tout ce qu’il a fait pour elle. Elle, justement, fait miroiter un CDD de 5 ans renouvelable au premier, et un dernier tour de piste au second, pour voir si leur histoire est définitivement terminée. Moi, je n’ai qu’un seul prétendant. Et si j’avais envie de lui montrer qu’il était en ballotage, je n’aurais pas dû lui lécher l’oreille en lui disant des mots cochons le 22 avril au soir.
12h00. Dans 8 heures, la France aura choisi. Pour elle comme pour moi, y a pas des masses de suspense, mais on n’est pas à l’abri d’une surprise. Solal est chez son père. J’en suis à mon 2e litre de café. En mode Cendrillon avant le passage de sa marraine la fée, je check les premiers chiffres de participation en relisant pour la 100e fois son texto de la veille : « Pour le 1er tour, je t’ai laissé faire. Pour le 6 mai, je m’occupe de tout. Je t’appelle demain à 14h. Je t’embrasse. A demain ».
12h45. Pour faire passer le temps qui n’en finit plus de s’étirer comme un jour de Kippour, je prends une douche et enfile un vieux jean et un tee-shirt, dont le logo a été lentement mais sûrement décimé par mon fer à repasser.
12h30. J’entends retentir la sonnerie de l’entrée. Il est là, planté avec son sourire de dingue, son bulletin « François Hollande » entre les dents. « Cadeau » me dit-il en m’embrassant comme si on s’était quitté la veille, comme si on s’était déjà embrassé mille fois.
Lui : J’ai envie de toi maintenant. A 20 heures, j’aurai l’impression de faire l’amour avec l’ennemi.
Moi : (lui passant la main dans les cheveux) Et moi, pour faire l’amour avec toi, je vais avoir besoin de laver l’affront de 2007 et te tondre.
Il se lève (oui on était assis) un peu fâché.
Moi : Je rigolais, je ne vais pas te couper les cheveux.
Lui : Toi et moi ça peut pas marcher. Tu votes pour un mec qui répète 16 fois « Moi président de la République » lors d’un débat présidentiel. Tu achètes Libération et je suis certain que t’as un abonnement à Mediapart.
Moi : (claquant des doigts devant ses yeux) Hou hou, reviens parmi nous ! Tu habites en Belgique et moi à Paris. J’ai un enfant et toi pas. Et ça, ce sont des raisons objectives pour dire que ça ne fonctionnera pas entre nous.
Lui : Moi je ne trouve pas.
On a fait l’amour toute l’après-midi. Comme si on l’avait fait 1000 fois. Je ne sais pas ce qu’il y a de meilleur dans un lit, rire ou jouir. Je n’ai pas encore tranché la question.
18h. On s’est enfin levé. « On va voir les résultats chez ma grande sœur, je dois récupérer des affaires ». 19h00, me voilà dans un duplex cosy du XIVe arrondissement. La sœur en question a la cinquantaine liftée et un look de Laeticia Hallyday tendance L.A., une salle de sport, un fils de 25 ans que je soupçonne d’être gay, un mari qui fait les cent pas en pestant sur ces « feignants d’antisionistes de gauche qui auraient mieux fait de potasser leurs cours d’économie au lieu de s’enculer à la Gay Pride » (sic) devant sa gouvernante marocaine qui ne moufte pas. Rajoutez trois couples d’amis dont les femmes impassibles scrutent la télévision et les maris qui, dans le long couloir, conversent au téléphone à voix basse avec des notaires et des banquiers helvètes, et vous aurez la teneur de ma soirée. Autant vous dire que je suis parfaitement dans mon élément.
La sœur me demande de la suivre dans la cuisine. A peine entrées, elle allume une cigarette et se met à monter dans les aigus : « Je ne sais pas qui vous êtes, je ne sais pas d’où vous venez et je m’en contrefous. Alors vous savez ce qu’on va faire ? Vous allez vous le taper autant que vous voulez, lui faire dépenser tout l’argent que vous voulez. Profitez-en pour voyager. Faites vous payer une couleur, parce que là y a urgence, mais par pitié, vous ne vous mariez pas ! A chaque fois, ça lui coûte 100 000 euros et une dépression. Reprenant un semblant de calme elle conclut avec un vrai sourire « Bon et bien maintenant que les choses sont claires, sachez que je suis ravie de vous connaître ».
A 20h10 nous quittons la maison de Cruella. En voiture, je jubile doublement :
– Je viens de rencontrer une fratrie encore plus dysfonctionnelle que la mienne
– Des dizaines de milliers de gens convergent vers la place de la Bastille.
Moi : On va où ?
Lui : Chez moi. A Uccle, en Belgique. Si ça roule bien, on y est dans 3h30.
Moi : T’es dingue ?
Lui : Tu reprends le boulot mercredi. Tu as dit que tu me laisserais faire…
Moi : Je n’ai pas mes affaires.
Lui : Pas grave, on en achètera.
Moi : Mais enfin, c’est un moment historique. Je voulais aller à la Bastille !
Lui : Pourquoi, il te manque le drapeau algérien dans ta collection ?
Moi : Hyper drôle. Putain, David, j’ai voté Hollande, il passe et moi je passe la frontière belge !
Lui : Si tu préfères, on peut aller en Suisse. Mais c’est plus long.
J’ai boudé 1 heure et je me suis endormie. Un peu avant minuit, la voiture s’est garée devant un lac entouré de jolies maisons. Son intérieur est aussi beau et sans âme qu’une maison témoin. Il me fait visiter.
Moi : Y a rien qui me prouve que c’est chez toi.
Lui : 2e tiroir à gauche. T’as des photos. Je vais prendre une douche.
Ca pour y avoir des photos y a des photos. Des photos un peu déchirées de la bar-mitzva, avec des tantes aux rouges à lèvres bien rouges, des photos de lui en mode bandes de potes et cigares sur la playa, des photos de lui qui fait de la plongée, lui sur un chameau, lui au ski, lui sur Times Square. Je le cherche au milieu des photos de groupes, où je reconnais parfois des visages croisés en soirées, en vacances. Et puis il y a les vieilles photos, celles du siècle dernier, où les cheveux sont trop longs, les jeans trop grands. Il revient.
Lui : T’as faim ?
Moi : Non. Y a pas tes photos de mariages, c’est pas drôle.
Lui : Si, mais elles ne sont pas là… (Il s’assoit) Mais si tu veux m’épouser, j’avoue que j ai de la pratique (il se rapproche), et ma carte illimitée du Consistoire (il m’embrasse), c’est un abonnement pour les très bons clients, avec 15% sur les traiteurs et le 3e Guet est offert.
Lundi matin je me suis réveillée à 7 h.
Lui : Je vais courir, je reviens dans une heure…
Après avoir barboté dans une baignoire jacuzzi digne d’un Caesar Palace, j’ai enfilé mon jean et une de ses chemises. Oui, j’ai toujours rêvé de faire ça. Dans la glace, je constate que ça fait pas pareil que dans le papier de Elle, « Piquez lui sa chemise », et je me dis qu’il faut vraiment que je résilie mon abonnement.
En prenant mon café, j’ai découvert sur mon téléphone la Une de Libération, en me répétant que finalement, oui, tout ça était normal…
La France a choisi. Elle est toute heureuse. Si elle était une amie, au téléphone, elle m’aurait répété «Je suis folle de bonheur. Et toi ?».
Moi : Ben. Je sais pas.
Elle : Mais tu sens que c’est lui ? Moi tu vois je sens que c’est le destin.
Moi : Carla Bruni dit que le destin se moque bien de nous, il ne nous donne rien et il nous promet tout.
Elle : Attends, fais moi confiance, tu sais ce que dis mon homme : le changement c’est maintenant.
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
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