Pour 2013, après mûre réflexion, j’avais décidé d’arrêter de me prendre la tête. Le problème, c’est que pour «prendre la vie comme elle vient», je suis autant équipée que Loana pour décrocher la couronne de Miss France ou Francis Lalanne pour faire gagner la France à l’Eurovision.
Hier donc, de retour au bureau, je débute ma journée avec l’entretien annuel 2012 que mon boss a repoussé à début 2013 pour cause de «dossier urgent à boucler», «client qui menace de transférer son budget à la concurrence» et «panoplie de ski des enfants à racheter avant Meribel». Autant de priorités qui ont rangé mon évaluation au chapitre des «on verra plus tard». Me voilà donc à 9h30 dans le bureau du boss. Après avoir écouté mon supérieur hiérarchique me faire part de sa satisfaction quant à mon travail avec autant d’enthousiasme qu’un Premier ministre israélien annonçant l’arrêt de constructions juives dans les territoires palestiniens, je me lance maladroitement sur le dernier point à évoquer ensemble.
Mon boss : « Qui est…»
Moi : «… Le dernier point, le 5ème à l’ordre du jour je crois»
Mon boss : «Mais encore»
Moi : «Et bien… Mon … Mon… Mon augmentation»
Mon boss : «Ah oui, l’argent bien sûr. Évidemment…».
À ce moment là, je me rends compte que bien qu’étant une adulte responsable, il m’est toujours aussi difficile de parler… «fric». En présence de non-juifs, par peur de réveiller le vieux cliché antisémite sur notre pseudo penchant pour l’argent, je suis tétanisée à l’idée de prononcer les mots «combien», «euros», «flouze», «blé», «argent», « pognon », «coûter». Il faut dire aussi que les rares tentatives de mes collègues à faire de l’humour sur ce terrain miné, se sont souvent avérées ratées et un peu suspectes. Hasard du calendrier, le lendemain de la découverte de l’escroquerie de Bernard Madoff, j’appelle le responsable du service informatique de mon étage pour cause de PC capricieux.
Moi : tu peux faire un truc, j’arrive plus à ouvrir ma boite mail…
Lui : t’as de l’espèce ou Madoff t’as tout pris ? Il est fort le mec, respect.
Moi : j’vois pas le rapport avec mon problème d’ordi.
Lui : il paraît même qu’il a arnaqué des juifs. C’est dingue ! Tu me diras, on arnaque les riches sinon c’est pas rentable.
Moi : ou alors il doit être comme toi, un peu antisémite.
Je vous rassure quand je suis entourée de mes coreligionnaires, je n’ai aucun mal à aborder l’épineuse question financière. En la matière, les préparatifs de mon mariage m’ont offert de très belles occasions de monter dans les aigus, de ramener les prestataires hypothétiques sur la terre ferme, et de leur rappeler au passage l’un des dix commandements : «Tu ne voleras point».
– Quand la fleuriste m’a expliqué «4500 € pour des roses du Panama, je ne pourrai pas faire moins, vraiment», j’ai répondu : «j’ai refusé de payer le billet Tel-Aviv / Paris d’une de mes tantes, c’est pas pour dépenser 30 000 balles pour des fleurs que je connais même pas. Ma mère dit que ça reste hyper cher pour un truc qui se mange pas. Et pour une fois, je suis d’accord avec elle. Vous pouvez pas aller chez Monceau Fleurs, plutôt ? Sinon, les centres de tables, en fait, c’est des bols d’eau pailletée avec des bougies et une fleur séchée, ça fait un peu macabre. On dirait la reconstitution miniature de la cérémonie funéraire du film Le temps des Gitans».
– Lors du premier rendez-vous avec l’orchestre, je me souviens comme si c’était hier du très long moment de solitude face à son rétroprojecteur, quand on le voyait enchaîner «Femme Like U» de K-Maro et «Je t’aime» de Lara Fabian. A la fin de la diffusion du petit film, l’artiste – puisqu’il s’agit bien de ça – nous a expliqué hyper sérieux, en bavant légèrement à la commissure des lèvres : «on ne se connaît pas mais je vous observe et j’ai l’œil. On est de la même génération, on pourrait être amis. Je vais vous parler en ami et pas en client. Pour moi, la formule qu’il vous faut c’est l’orchestre 3 : 15 000 € mais pour vous ce sera 12 000 € si on signe aujourd’hui». Prenant une grande inspiration, me tournant vers mon fiancé, j’ai répondu : «je t’arrête tout de suite. Je n’ai pas besoin d’ami, j’ai besoin d’un mec qui s’occupe de la musique. 15 000 €, t’as cru que t’allais marier les héritiers Kooples et Sandro. Moi j’irai pas au-delà de 7 500 €, mais je suis certaine que si tu vires ton costume de gourou raëlien, ta mise en scène pourrie façon Jean-Michel Jarre en concert au Pavillon Dauphine, tes danseuses rachitiques et ta chanteuse obèse qui a même pas été sélectionnée pour le théâtre dans Nouvelle star, ça peut le faire ».
– Clou des préparatifs, la négociation avec le responsable de la salle sur laquelle nous avions jeté notre dévolu pour célébrer notre amour. L’homme en question, costume croisé à gros boutons dorés façon Edgar Zemmour, nous annonce entre deux portes un forfait «salle + traiteur / personne» qui équivaut à peu près au prix d’une chambre au Normandy la veille d’un 1er novembre. Après un rapide calcul avec le nombre de nos invités, je me dis que je n’ai que deux options : prier pour que toute ma belle-famille soit empêchée le jour J, terrassée par une gastro (vu comment ma belle-mère me fait chier, ce ne serait que justice) ou faire habilement baisser la facture. J’opte évidemment pour la deuxième solution, en butant tu l’imagines bien sur le «habilement», et lui réponds : «la salle, Monsieur, on veut juste la louer. Moi je suis d’accord sur le prix, mais à ce tarif, on signe un bail de 3 ans. C’est plus grand que ce qu’on avait prévu pour démarrer, mais je suis prête à tenter le coup. Allons visiter la cuisine. Et la salle de bains, c’est douche et baignoire, j’espère ? ».
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)
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