Le re-père d'Antoine Silber

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Si les ancêtres paternels d’Antoine Silber avaient choisi Tunis plutôt que Cracovie, on l’imaginerait bien intituler «Sur la vie de mon père !» l’émouvant et superbe hommage qu’il rend à Jacques Silberfeld, son père pour la vie. L’auteur nous livre ici le portrait d’un homme emblématique d’un temps où les « humanités » forgeaient les consciences, à travers un récit où les questions de transmission du judaïsme et d’amour filial sont traitées avec une extrême sensibilité.
 
Né en 1915 à Anvers et décédé en 1991, Jacques Silberfeld était petit-fils de rabbin et fils d’un diamantaire qui se ruinera dans les casinos. Arrivé à Paris à l’âge de 15 ans pour y poursuivre sa scolarité au lycée Louis-Le-Grand, il fait des études de lettres et s’engage dans la Légion étrangère au début de la guerre avant de rejoindre la Résistance, combattant notamment aux côtés de Raymond et Lucie Aubrac. Arrêté par la Gestapo en 1944, il sera du dernier convoi qui partit de France pour le camp de Dachau (un « train fantôme » qui n’arrivera jamais à destination…), dont il parviendra à s’évader.
 
Après-guerre, Jacques Silberfeld écrit, traduit (Nabokov, Norman Mailer, l’Essai sur la révolution d’Hannah Arendt…), rentre au comité de lecture de Gallimard (aux côtés de Roger Nimier), est l’ami de Vialatte, Blondin, Dutourd (dont on apprend, au fil des pages du récit, que l’auteur d’«Au bon beurre» – résistant comme Silberfeld – académicien et accessoirement star des « Grosses têtes », était juif) et, pas à un paradoxe près, collabore comme critique littéraire à l’hebdo monarchiste de Pierre Boutang La Nation française, où l’antisémitisme a toujours bonne presse. Il sera aussi professeur au CFJ, la réputée école de journalisme.
 
C’est à la rencontre de cet homme, littéralement pétri de lettres, qui prit comme pseudonyme de résistant puis comme nom de plume « Michel Chrestien », l’un des héros balzaciens de La Comédie humaine (qu’il révère plus que tout et dont il a dévoré lycéen les 90 volumes), que nous emmène Antoine Silber. Au cœur de son domicile du 19 rue de l’Odéon, où, après la disparition de son épouse, il reçoit dans son deux-pièces, couché, entouré de ses livres et des toiles de sa femme adorée.
 
« Ton père pour la vie », TPPLV, c’est la signature des lettres quotidiennes de Jacques Silberfeld envoyées à son fils Antoine, journaliste à Paris-Match, Elle, l’Obs… aujourd’hui écrivain (Le silence de ma mère, Les Cyprès de Patmos). On en découvre des extraits avec émerveillement, entrecoupés du récit des relations tendres, parfois vachardes, toujours emplies d’amour et de fierté, entre ce lettré un tantinet excentrique et son fils. Ce partage dont nous fait cadeau Antoine Silber, c’est aussi l’histoire d’une transmission. Celle d’un judaïsme qui se définit ailleurs que dans la religion. Jacques Silberfeld, selon les mots de l’auteur évoquant la judéité de son père, était ce juif pour qui « être juif, ce n’était pas du tout jeûner le jour de Yom Kippour, c’était décider de devenir français, de s’appeler Chrestien, de vivre au milieu des livres, et de raconter des histoires drôles ».
 

Michel-Chrestien-JewPop

 
Des histoires drôles, Antoine Silber nous en raconte aussi, en particulier sur son rapport au judaïsme, telles ces pages savoureuses narrant la bar-mitsvah de son fils à la synagogue Copernic. Ou encore l’entretien pittoresque qu’il eût avec le Grand rabbin de France de l’époque, Jacob Kaplan, lorsqu’il lui fit part de son souhait de se marier religieusement, malgré le fait que sa mère ne soit pas juive. Mais c’est toujours dans la filiation que l’auteur définit si bien sa judéité : « J’étais son fils, cela seul comptait. Et c’est cela qui faisait de moi un Juif. D’être son fils ! »
 
On arrive à la fin de ce récit bouleversant avec la simple envie de remercier l’auteur pour l’émotion qu’il nous a procuré. Et pour le plaisir, aussi, d’avoir lu ce texte aussi élégant que les vestes de tweed portées jadis par son père.
 
Alain Granat
 
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© photos : Arléa / DR

Article publié le 30 novembre 2015. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2015 Jewpop

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