Mariage de vieux, mariage heureux

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Depuis la semaine dernière, ma mère reste prostrée dans son fauteuil en poussant des soupirs capables de balayer les tornades américaines au rang de courant d’air. La raison ? Sa sœur, 72 ans, se marie. Et oui, comme Macha Meryl et Michel Legrand, 155 ans à eux deux. Et pour ma mère, sur l’échelle de la contrariété, excepté un homme qui décide de changer de sexe, y a rien de pire.
 
Mon père m’avait prévenue. «Ta mère va pas bien, viens la voir».
Moi : Papa je suis autant capable de remonter le moral de maman que de régler la question du chômage et des déficits publics.
Une heure plus tard, au lieu de profiter de ma première soirée solo sans mon fils, je suis donc dans le salon de mes parents, à tenter d’établir le dialogue avec ma mère mutique, un mouchoir en tissu coincé dans la paume de la main, les yeux humides et la photo de ma grand-mère sur les genoux.
Moi : Bon allez maman… Tata Ninette n’est pas décédée, elle se marie !

Ma mère : C’est pire !

Moi : Arrête je te jure. C’est honteux !

Ma mère : Ce qui est honteux de se remarier à son âge. Tu te rends pas compte de ce que les gens vont dire. Et pourquoi elle se marie d’abord ?

Moi : J’en sais rien moi. Elle veut plus être seule pour regarder «Les feux de l’amour», elle a envie de dire «Mais il est où, encore, mon mari ?» à la sortie de la synagogue, elle veut mettre deux assiettes sur la table le soir, elle veut se réveiller en voyant autre chose que des photos jaunies du temps d’avant.
Ma mère : Ils vont dormir ensemble en plus !

Moi : Ben y a des chances. Maurice, il va pas quitter son appartement pour dormir dans le canapé du salon.

Mon père : Ils vont peut-être nous faire un bébé !

Moi : Papa, s’il te plaît, arrête.


J’ai tenté de minimiser la situation. C’est vrai finalement, fallait se détendre. Tata Ninette, elle n’allait pas se marier en blanc à La Victoire et louer le Pré Catelan. Elle faisait une houpa à la synagogue et un repas chez Gabin. Pas de quoi concourir pour l’émission «Quatre mariages et une lune de miel». Ma mère ne voulait pas en démordre, les deux seules phrases qu’elle consentait à ânonner c’est «ça ne se fait pas» et «plutôt mourir que d’y aller».
 
Moi : Bon allez ca suffit, tu l’appelles et tu lui dis que tu vas venir.

Ma mère : Non ! Elle a même pas fait de faire-part.

Moi : Elle a 72 ans, lui 81.  Tu veux qu’ils fassent un clip avant d’entrer dans la salle ? Sérieux… Les faire-parts, de toute façon, ça finit toujours à la poubelle…

Là, ma mère s’est levée pour aller chercher le mien (pas celui des mes frères, non, le mien. Bon, faut dire qu’il est très beau) dans la vitrine de l’entrée. «Moi je les garde toujours. Regarde le tien comme il est beau ! En plus y a le nom des parents, des grands-parents, des disparus. C’est émouvant».
Moi : Qu’est ce que tu veux qu’ils envoient, le plan du cimetière de Pantin ? En plus, le futur marié, il a fait les choses bien, il est venu faire la demande à Papa.

Mon père : Je lui ai donné sa main. J’en ai profité pour lui refiler le service à thé. Tu sais, celui dont je voulais me débarrasser depuis Pessah.
Moi : Il est vieux.
Mon père : Moins qu’eux !


Là, ma mère a ri un peu, elle m’a embrassée et elle a raconté que dix ans après leur arrivée en France, sa mère, jeune veuve, avait tapé dans l’œil d’un quinquagénaire «bien mis de sa personne». Quand il la rencontrait dans Belleville, il s’arrêtait et ôtait son chapeau en s’inclinant légèrement. Un jour, il avait pris son courage à deux mains pour l’inviter à déjeuner. Tout le quartier avait bruissé de pia-pia en les voyant manger dans l’arrière-salle d’un restaurant tunisien. Le soir même, mes oncles, à peine sortis de l’adolescence, avaient sommé avec autorité ma grand-mère de ne plus jamais le revoir, mettant un point final à sa vie de femme. Un demi-siècle plus tard, Tata Ninette, elle aussi veuve, prenait sa revanche en repassant devant le maire et le rabbin.
Ma mère a composé le numéro de sa sœur pour lui annoncer que finalement, elle viendrait, précisant «je resterai pas longtemps, j’ai mal à la hanche». Quand ma tante l’a remerciée en lui disant que ça n’était pas nécessaire de s’embêter pour le cadeau, ma mère a répondu «le service à thé ? Mais c’est normal Ninette de donner un coup de pouce à un jeune ménage !»
 
The SefWoman
Ma philosophie se situe entre « A Kippour tout le monde pardonne, sauf moi » (Raymond Bettoun) et « Dieu n’existe pas, mais nous sommes son peuple » (Woody Allen)

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Article publié le 24 juin 2014. Tous droits de reproduction et de représentation réservés © 2014 Jewpop
 

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